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Mouloud Mammeri, un homme libre

Mouloud Mammeri aurait eu cent ans le 28 décembre et de nombreuses manifestations (colloques, caravane itinérante, Salon du Livre d’Alger) lui rendent hommage. On se souvient notamment de son roman, La Colline oubliée, publié en 1952, où il racontait l’existence d’un village kabyle au rythme des saisons et des coutumes ancestrales, existence perturbée par la guerre. Le livre avait suscité la polémique en Algérie, où l’on avait reproché à l’auteur son manque d’engagement patriotique à une époque cruciale pour le nationalisme algérien, mais avait été salué comme une fresque représentative de l’Algérie.

Né en 1917 dans le village de Taourirt Mimoun en Kabylie, Mouloud Mammeri a vécu quelque temps à Rabat, en 1928 chez son oncle qui était chef du secrétariat particulier du Sultan Mohammed Ben Youssef et intendant général du Palais, puis de 1957 à 1962. Ses romans, ses nouvelles, ses pièces de théâtre sont un témoignage sur l’histoire de l’Algérie : il décrit ainsi la colonisation, l’indépendance et fait le bilan des années de pouvoir du FLN avec un œil critique, maintenant toujours avec le pouvoir ce que Tahar Djaout qualifiait de « distance souveraine ». Il fut également un universitaire très actif dans les domaines anthropologiques et linguistiques. Il enseigna dans son pays natal où il créa la première chaire dédiée à la culture berbère, puis en France où il fonda notamment le Centre d’études et de recherches amazighes (CERAM) à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Un exil parisien motivé, entre autres, par les évènements sanglant du Printemps Berbère, où les Kabyles se révoltèrent contre le pouvoir en place à la suite justement de l’interdiction d’une de ses conférences sur la poésie kabyle. Mouloud Mammeri est décédé le 26 février 1989 d’un accident de voiture dans la région de Ain Defla dans des circonstances restées opaques.

 

Le chantre de la culture berbère

Son principal combat a été pour la culture berbère. Mouloud Mammeri a collecté le patrimoine amazigh, bien souvent oral, en se rendant jusqu’aux confins du Sahara et en revivifiant une langue dont il a théorisé la grammaire. Il a également milité pour son universalisation, la culture berbère étant pour lui le cœur de la libération d’un peuple malmené par la colonisation et l’oppression autoritaire et néocoloniale. Il avait le souci d’éveiller la richesse de l’enracinement pour mieux ouvrir ses compatriotes à un avenir riche d’espérance. Car, écrivait Mouloud Mammeri dans un poème : « Un homme c’est quelqu’un qui va quelque part. Quand un homme a l’impression qu’il ne va nulle part, il meurt ou il tue. »

Salim Saïdi

28 décembre 2017