Abdallah Bensmaïn : une critique de conscientisation
L’Institut français de Meknès a organisé, le 30 janvier dernier, une rencontre sur la critique littéraire au Maroc où j’étais invitée, avec le journaliste et critique littéraire Abdallah Bensmaïn, à évoquer les évolutions de ce champ.
Khalid Zekri, professeur à l’Université Moulay Ismaïl de Meknès, a rappelé que depuis les années 1960, la critique littéraire était fortement liée, au Maroc, à l’institution universitaire, jusqu’à l’émergence dans les années 1990 d’une critique plus journalistique.
Abdallah Bensmaïn, qui a longtemps contribué au supplément culturel de L’Opinion et est un des initiateurs du magazine Sindbad, a apporté le témoignage suivant sur cette critique littéraire savante qu’il pratiquait :
« À L’Opinion culture, l’équipe était très structurée. Il y avait notamment Abdallah Memmes, qui était docteur en littérature. On ne faisait pas un travail journalistique en littérature, ce n’étaient pas de simples couvertures, mais des analyses. On travaillait selon des normes universitaires. On s’appuyait sur les travaux de Lucien Goldmann, de Georg Lukacs. On privilégiait l’approche sociologisante. On abordait l’identité d’un point de vue anthropologique. Dans les années 1980, on utilisait plus de jargon qu’aujourd’hui. À l’époque, quelqu’un qui écrivait sans reprendre les concepts de Barthes, Lacan, etc. n’était ni entendu ni reconnu. Ce qu’on faisait, c’était une critique littéraire conceptuelle. Pour nous, la critique permettait d’entrer dans le texte, sans faire grand cas de l’auteur. L’auteur n’existait pas. On évitait les adjectifs et les superlatifs, qui sont des supports de la subjectivité. Et quand on écrivait sur un livre, c’était pour conscientiser le lecteur, pas pour l’amener au livre à proprement parler. La sensibilisation à la lecture n’était pas une préoccupation pour nous. Si le lecteur de l’article est amené à lire le livre dont on parle, c’est parce qu’il représente une valeur ajoutée pour le débat en son fond et pour l’écriture littéraire en sa forme. »