Quelles presses universitaires à l’heure du numérique?
Les livres universitaires, « des livres invendables et illisibles, édités à compte de laboratoire, qui allongent le CV de leurs auteurs, le métrage des bibliothèques et la culpabilité des étudiants à qui on fourgue des bibliographies qu’ils ne lisent pas » ?
À ce résumé provocateur d’un enseignant, la table ronde qui a eu lieu à Livre Paris le 19 mars 2018 proposait des pistes pour faire le point sur l’état des lieux du genre à l’heure du numérique. Coût, nouveaux modèles, comment renouveler les presses universitaires ? Et comment faire du numérique une opportunité pour ces ouvrages ? Le bilan et les avis de cinq spécialistes.
Cédric Michon, directeur des Presses Universitaires de Rennes
Nous avons un catalogue de 5 000 titres en lettres, en sciences humaines et en arts. Notre vocation est de publier des livres difficiles à vendre. J’ai fait des livres à 80 exemplaires. Car notre mission est de porter une parole difficile.
Avec le numérique, on ne sait toujours pas où l’on va. Il y a toujours une grosse incertitude au niveau des pratiques. Les revues papier sont mortes ou en voie de disparition. Les bibliothèques universitaires ne savent pas quelle décision prendre car elles ne savent pas comment appréhender les attentes des publics, universitaire ou étudiant.
Une grande faiblesse du numérique, c’est son modèle économique qui ne tient pas la route. En effet, les recettes sont variables, c’est-à-dire au mieux stable ou en baisse car elles n’augmentent pas, tandis qu’on a de plus en plus de titres au catalogue. On est contraints par le sens de l’histoire de faire des investissements pour ne pas rater ce passage au numérique, mais sans retour. Cette incertitude est d’autant moins bienvenue que la situation n’est pas brillante dans le monde de l’édition en général.
Nous faisons face à deux écueils :
- l’idéologie du « tout numérique, tout gratuit». Or, le numérique demande des moyens. Où les trouver ?
- le conservatisme du « on n’en a pas besoin, attendons de voir».
La trentaine d’éditeurs réunions dans l’association se retrouvent sur le fait que la recherche et l’enseignement supérieur sont un espace public et ont des outils communs. Ils partagent l’enjeu suivant : comment être spécifique et avoir des pratiques communes.
On n’a pas besoin du numérique sur la fonction éditoriale : l’établissement du texte et le travail avec les auteurs sont les mêmes. C’est au niveau de la diffusion et du modèle économique qu’il y a des incertitudes.
Aujourd’hui, l’accès au grand public est gratuit. Le livre numérique coûte plus cher à l’éditeur, qui fait deux livres en même temps, dont un ne se vend pas. Il coûte plus cher au diffuseur et au lecteur, en raison des liseuses qui doivent être récentes et de l’obsolescence à six mois. Si on devait réduire le coût de vente aux livres vendus, on ne vivrait pas.
Mais on se lance aujourd’hui dans le numérique, car c’est essentiel, notamment pour répondre à la question : « Comment rendre les textes accessibles ? »
Ce qui change le plus, c’est le rapport au lecteur. On lui propose des expériences de lecture différentes. Aujourd’hui, on lit sur téléphone, sur tablette, mais il n’y a pas de support pour la couleur. On est à un seuil. On produit simultanément du papier et du numérique, à 100 %. On structure le contenu pour que les moteurs de recherche le lisent. Et c’est le lecteur qui choisit la forme (police, taille). Aujourd’hui, la chaîne plus longue du papier.
L’essentiel est de continuer à lire. Il est très important de ne pas faire de gratuit, mais de faire de bons livres, susceptibles d’être achetés par les bibliothèques.
Cela suppose d’avoir une politique éditoriale, papier et numérique. Car on ne peut pas indéfiniment publier des livres qui ne se vendent pas. Ce qui ne mérite pas le papier ne mérite pas non plus le numérique. Il faut gérer la contradiction entre le fait que le chercheur doit publier et l’obligation de publier moins. Donc il faut faire évoluer l’évaluation du chercheur. Ce qui compte, c’est que le livre soit lu. Il faut prendre en compte le nombre de livres lus et non achetés.
Le CTHS est ancien. Depuis 1834, il a pour but de publier une documentation inédite sur l’histoire de France.
Depuis 2002, son congrès annuel, qui représente environ 150 articles en PDF, est numérisé. Cela a était fait pour deux mauvaises raisons. D’abord, cela sous-tendait que les actes étaient moins importants et que le numérique était suffisant. Ensuite, pour gagner du temps, alors que le travail sur le texte pour aboutir à un PDF bon à imprimer est le même. Le seul gain de temps concerne la demande de devis à l’imprimeur et l’impression.
Depuis 2013, les PDF sont téléchargeables gratuitement. Mais on s’est rendus compte qu’il n’y avait pas de changement dans les habitudes de lecture par rapport à l’époque où ils étaient payants. La gratuité n’était donc pas le problème.
Aujourd’hui, on bascule sur une autre solution pour notre patrimoine de congrès (environ 130 volumes depuis 2002). On travaille avec OpenEdition Books.
Les universités vivent avec des subventions publiques, dont une partie est dédiée à la publication des actes. Mais il faut un effort de formation. Préparer un manuscrit en XML est un travail spécifique. Il faut en voir le sens pour qu’il soit exploitable par les chercheurs. Pour permettre l’exploitation des documents inédits par les chercheurs, il faut un autre mode de recherche, via l’agrégation de bases de données. C’est donc une réflexion qu’il faut mener sur les nouveaux usages.
Bastien Miraucourt, responsable éditorial d’OpenEdition
OpenEdition est un laboratoire du CNRS à l’Université d’Aix-Marseille et à l’EHESS, donc public. Il rassemble quatre plateformes d’édition scientifique en ligne, dont :
- org, lancé en 1999 avec 5 ou 6 revues qui en diffuse aujourd’hui 500, pour 70 millions de visites annuels
- OpenEdition Books, lancé en 2013 avec 13 éditeurs. Il y a aujourd’hui 100 éditeurs adhérents, 6 000 livres référencés, et 5 millions de visiteurs annuels.
L’intérêt de la diffusion numérique st culturellement très partagée depuis quelques années.
Nos plateformes de publication proposent des textes au format HTML, en plein texte, cherchable via Google. On propose aussi des formats ePub et PDF, pour structurer et référencer les textes dans les bases de données, les librairies électroniques et les bibliothèques universitaires.
Or faire un texte structuré pour différents contextes de lecture coûte très cher. Il y a un programme d’investissement de l’Etat pour donner une seconde vie aux ouvrages.
OpenEdition est une base de données libres, très riche et facile d’accès sur la production scientifique sous forme de revues et de livres. C’est utile pour une science ouverte et pour la restitution aux grands publics des travaux académiques.
Mais l’accès en ligne ne signifie pas la gratuité.
Nous proposons plusieurs modèles économiques en expérimentation. Les éditeurs peuvent mixer différents modèles :
- le modèle de l’auteur (ou de son institution)-payeur
- le modèle freemium, où une partie est gratuite, en consultation en ligne, avec des services payants (achat ou téléchargement, service aux bibliothèques universitaires)
- le modèle knowledge & catch : appel à souscription de bibliothèques qui choisissent une série de livres dont tous les formats sont libérés pour le grand public. Mais les résultats sont fluctuants selon les années, car on dépend du monde de la documentation universitaire.
- la vente aux particuliers : 90 à 95 % des livres ont au moins un lecteur. Il y a peu de ventes, mais le but est la mise à disposition.
On travaille avec beaucoup d’éditeurs sur des solutions d’édition électronique. On est aussi dépendants de la transition vers le numérique. Par exemple, la chaîne MÉTOPES, modèle porté par l’AEDRES, est un outil diffusé dans les presses universitaires.
OpenEdition n’est pas seulement un diffuseur des presses universitaires françaises. Notre comité scientifique indépendant choisit aussi des éditeurs privés et des éditeurs non français. La transition scientifique se passe différemment dans différentes régions du monde et dans différents systèmes.
Les Presses Universitaires du Septentrion sont une association de cinq universités, celles de Lille, de Valenciennes, du littoral Côte d’Opale et de Picardie.
Nous utilisons la chaîne MÉTOPES pour être autonome dans la génération de nos fichiers (XML, HTML, ePub…) On doit structurer correctement le contenu (titre, citations…) avec les outils de l’auteur, pour obtenir des fichiers pérennes. Nous produisons des fichiers interopérables avec les différentes plateformes pour être présents sur Internet via différents canaux.