Langues : minorées mais pas mineures
Le dernier numéro de la revue Bibliodiversity, dédiée aux mutations du livre et de l’édition, se penche sur ces langues non dominantes qui constituent la réserve de diversité linguistique de la planète mais sont extrêmement marginales, voire inexistantes, dans les circuits actuels de l’édition. L’enjeu : la survie de 90 % des langues aujourd’hui recensées, soit l’expression de 90 % des cultures humaines.
« Que peut faire – et que fait déjà – le secteur de l’édition pour aider à conserver et à faire vivre ces langues minorées ? », s’interrogent les coordinateurs du numéro, les chercheurs français Nathalie Carré et Raphaël Thierry. La première, maîtresse de conférences à l’INALCO, est traductrice du swahili et membre de l’équipe de recherche Pluralité des langues et des identités : didactique, acquisition, médiations (PLIDAM) et le second, spécialiste du paysage éditorial africain et initiateur du portail EditAfrica.com. Les douze contributions qu’ils ont réunies, articles universitaires ou témoignages de professionnels, font le tour, non exhaustif, des initiatives existantes pour sauver, valoriser, transmettre des langues comme le créole haïtien, le corse, l’innu, le yiddish, le kikuyu, le basque, le malgage, le nahuatl…
Enjeux mouvants de domination
Dans leur introduction, « Publier en langues minorées : de la diversité des langues d’édition en contexte mondialisé », ils font l’inventaire des situations, en rappelant que la majorité des langues ne sont pas écrites et que « le monde de l’édition est très nettement dominé par un nombre relativement restreint de langues ».
Ils insistent sur l’importance des rapports de pouvoir et des « situations de domination/minorisation » qui sont mouvants et dynamiques. « Selon notre acception, une langue minorée n’est clairement pas une langue « mineure » ou « petite », mais elle est prise dans des rapports complexes qui font que, par certains aspects, sa visibilité est amoindrie. Dans le contexte d’un dossier consacré à la question de l’édition en langues minorées, c’est le rapport à l’écrit, bien sûr, qui apparaît comme décisif. Ce qui pose immédiatement la question de la standardisation des langues et des systèmes d’écriture, de la norme et de l’institution, du rapport au politique. » Sans oublier l’enseignement, « facteur de légitimation fort » qui forme le lecteur.
Il est donc question dans ce numéro des représentations, des instances de consécration, symboliques et juridiques, mais aussi des initiatives pour enseigner, créer un circuit de diffusion, physique et numérique, qui ne transite pas nécessairement par les pays dits du Nord, cataloguer, etc. Bref, pour reprendre l’expression du poète Rodney Saint-Eloi, fondateur des éditions Mémoire d’encrier au Québec/Canada, faire en sorte que « l’édition grandisse le monde ».
Bibliodiversity, les mutations du livre et de l’édition est publiée par Double ponctuation et par l’Alliance internationale des éditeurs indépendants.
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