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Le monde arabe en 1001 langues

Pour la première fois, en amont de la Foire du livre de Francfort 2020, les éditrices et éditeurs arabes du réseau de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants proposent leur Hotlist, une sélection d’ouvrages récents représentatifs de la bibliodiversité de nos pays. Avec 70 titres de 7 pays différents, ils invitent à la rencontre du « monde arabe en 1001 langues ».

Le projet a été porté notamment par Elisabeth Daldoul des éditions Elyzad en Tunisie, Selma Hellal des éditions Barzakh en Algérie et Samar Haddad des éditions Atlas Books en Syrie.

Les éditeurs marocains représentés sont le Centre culturel arabe, Le Fennec, les Éditions de la Librairie des ColonnesMalika éditions, Nouiga, Sarrazines & Co, Senso Unico, les Éditions du Sirocco, Tarik éditions, Toubkal, Kulte Gallery & Edition, Virgule, l’association Tirra pour la promotion des oeuvres en amazigh, ainsi qu’En toutes lettres.

La sélection est à découvrir ici.

En toutes lettres partage l’éditorial de cet événement.

Le monde arabe en 1001 langues

Si le monde arabe a en partage une langue, la langue arabe, qui en a cimenté la culture au long des siècles, celle-ci est loin d’être la seule. Du Maghreb au Machreq, de la corne de l’Afrique au Cham, cet immense espace recouvre des réalités multiples. La diversité linguistique lui est donc inhérente.

L’arabe

D’abord par la diglossie, ou bilinguisme, entre une variété dite haute (l’arabe standard) et une variété dite basse (l’arabe vernaculaire, darija au Maroc, darja en Algérie, derja en Tunisie, ‘ammeyya au Proche-Orient…). L’ensemble des pays de la région connaît cette situation de répartition, plus ou moins sereine, des fonctions entre la langue écrite et les langues parlées (mais aussi écrites) qui ont longtemps été considérées comme des dialectes. Aujourd’hui, leur standardisation à l’écrit et leur place dans la société, notamment l’enseignement et l’édition, font l’objet de débats. Ainsi, dans des pays comme la Syrie, des livres en ‘ammiyya n’obtiennent pas le permis de publication délivré par le département de censure du ministère de l’Information.

Quant à la littérature, elle abrite quantité d’expérimentations où cohabitent les deux niveaux de langue : entre défenseurs acharnés d’une langue standard « pure », non polluée par les « scories » du dialectal, et partisans, au contraire, de leur imbrication assumée – entre autres pour donner chair aux dialogues –, les discussions sont âpres. Rares sont les romans ou récits publiés exclusivement en dialectal, mais certains, en Tunisie, Égypte ou Syrie, ont connu un indubitable succès.

Au Maghreb, le tamazight, le français et l’espagnol

Au Maghreb, l’amazighité est une composante essentielle, notamment en Algérie et au Maroc, malgré différents statuts d’un pays à l’autre. Le tamazight, générique pour désigner la langue berbère d’Afrique du Nord, se décline, selon les pays, en autant de variantes, dont, entre autres : tachelhit, tamazight et tarifit au Maroc ; kabyle, mozabite, chaoui et touareg en Algérie ; chelha en Tunisie (à l’état résiduel) ; tamasheq en Libye. Des chercheurs et des militants œuvrent à leur codification écrite et à la promotion de publications dans ces langues.

L’histoire coloniale a aussi fait du français « un butin de guerre », selon la formule fameuse de l’écrivain algérien Kateb Yacine, mais aussi l’espagnol. Si elles n’ont pas de statut officiel, elles demeurent importantes, surtout le français. Cependant les politiques d’arabisation menées depuis plusieurs décennies les font régresser dans le paysage éditorial. Quant à l’anglais, son importance dans un monde mondialisé l’impose de plus en plus comme une langue d’apprentissage et parfois d’écriture.

Au Machreq, le kurde, l’arménien et le syriaque

Au Machreq, la mosaïque linguistique est plus complexe.

Le kurde, langue iranienne occidentale, s’écrit en caractères latins et arabes. Parlé par près de 35 millions de Kurdes répartis entre l’Arménie, la Turquie, l’Iran, la Syrie, et l’Irak, où il est langue officielle depuis 2004, il se décline en plusieurs dialectes. La situation politique des Kurdes en rend difficile l’édition : il n’est pas permis de publier des livres dans cette langue en Syrie par exemple.

L’arménien, ancienne langue indo-européenne, et une des rares à avoir conservé sa forme primitive, s’est répandue au Moyen-Orient après le génocide perpétré par l’Empire ottoman. Au moins 3 000 Arméniens vivent entre la Syrie, le Liban, la Jordanie, la Palestine, l’Égypte et l’Irak, et animent des écoles privées et des universités pour transmettre leur langue, leur littérature et leur patrimoine.

Le syriaque, langue sémitique issue de l’araméen, qui a joué un rôle majeur dans le passage des sciences grecques vers l’arabe, a lui aussi de nombreuses variantes. C’est la troisième langue d’Irak, où elle est langue officielle de certaines régions. En Syrie, où elle est présente surtout dans le Nord et liée aux communautés chrétiennes, existe un institut pour l’enseignement des langues araméenne et syriaque à Maaloula. Malgré les répressions à l’époque ottomane, quelques villages dans le sud de la Turquie continuent à parler une forme de syriaque. Enfin, le syriaque est répandu en Iran, dans l’ouest de l’Azerbaïdjan (où le plus ancien journal dans cette langue, Zuhra Dabahir, a été publié en 1847), et en Arménie, ainsi qu’en Inde et au Liban.

Enfin, les diasporas du Maghreb et du Machreq contribuent, elles aussi, à rendre compte des réalités et de la complexité du monde arabe,  aujourd’hui exprimées en espagnol, catalan, italien, anglais, néerlandais, etc.

À travers cette HotList, les éditrices et éditeurs indépendant.e.s du monde arabe vous invitent à découvrir les 1001 facettes de la création littéraire et intellectuelle de nos pays.

Notre démarche s’inscrit dans le sillage de nos collègues d’Amérique latine, membres du réseau de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants qui, depuis quatre ans, célèbrent de cette manière la richesse et la créativité de l’édition indépendante (voir la HotList latino-américaine 2020 ici).

13 octobre 2020