Jeunesses plurielles
L’étude d’Economia sur Les jeunes au Maroc, présentée le 24 mars à la Fondation Al Saoud à Casablanca, montre qu’il est nécessaire d’agir face à l’urgence homogénéisante des politiques publiques sur la jeunesse.
Catégorie sociologiquement insaisissable, trop souvent réduite à un groupe homogène et uniforme, la jeunesse a pris une place incontestable sur la scène politique, social et économique à l’échelle marocaine et internationale. Les jeunes au Maroc : Comprendre les dynamiques pour un nouveau contrat social est une ode à la diversité des jeunesses à travers une étude multidimensionnelle entre sciences sociales, management, et analyse de l’instrumentalisation politique de la jeunesse.
Fruit d’un projet collectif issu d’une enquête qui a permis de réfléchir sur les différentes facettes de cette si large thématique qu’est la « jeunesse », cet ouvrage est un parti pris qui questionne la pertinence de la définition qui en est faite par les politiques publiques, source décisionnelle principale.
En outrepassant le simple facteur de l’âge, le collectif a tenté de démontrer qu’il n’est possible d’accompagner et d’écouter les « jeunes » que par le prisme de l’hétérogénéité.
L’objectif principal de l’ouvrage étant ainsi de donner des clés de réflexions à des politiques publiques homogénéisantes.
L’ouvrage part d’un postulat simple : « les jeunes » sont catégorisés par les politiques publiques comme une part de la population homogène qui incarne un problème. Mais alors comment des solutions pour cette partie de la population peuvent-être trouvées quand elle est socialement considérée comme un fardeau de la société ?
L’ouvrage pousse la réflexion vers une vision hétérogène et multidimensionnelle de la jeunesse qui n’est pas un fardeau mais une partie non-négligeable de la solution aux problèmes socio-économiques et culturels de la société. Il est nécessaire de réfléchir autrement sur les jeunes. Mais comment aborder les jeunes sous un nouvel angle ?
Plusieurs auteur.e.s se sont ainsi penché.e.s sur différents visages de la jeunesse pour en démontrer la diversité. Paola Gandolfi, professeure à l’Université de Bergamo spécialisée dans l’anthropologie du Maghreb, du Moyen Orient et des migrations transnationales, s’est par exemple penchée sur la jeunesse italienne d’origine marocaine dans le chapitre « Sentir le Maroc dans sa peau : pratique cosmopolite des jeunes italiens dans la société marocaine ».
En donnant la parole à cette petite partie de la jeunesse et en suivant des individus de 2008 à 2020 dans le nord de l’Italie, elle s’est appliquée à construire le récit d’une discrimination dont les Italiens issus d’ailleurs sont victimes. Plusieurs phrases marquantes telles que « Tu es une seule personne mais tu te sens divisée », « Comment se sentir à l’aise entre l’un[e] et l’autre [origines], dans les petits détails? ». Les témoignages que Paola Gandolfi a rapportés renvoient généralement à une parole, un son, une odeur, un univers sensoriel qui pousse ces jeunes à un voyage culturel constant entre le Maroc et l’Italie. En mettant en avant l’émancipation par la création artistique, l’auteure appuie sur l’intention d’utiliser la pluri-culture comme symbole d’une jeunesse disparate.
Trop souvent perçus comme des victimes de la précarité, de la vulnérabilité, et de l’assistanat, cette étude œuvre pour la mise en valeur de ces actions « invisibles » des jeunes qui façonnent le quotidien d’une société entière. En analysant la « jeunesse » sous le prisme d’autres critères que l’âge, les chercheur.se.s en sont venus à enquêter sur des individus qui se « considèrent comme jeune » ou qui sont « socialement considérés comme jeunes dans leur environnement » sur plusieurs facteurs tels que la catégorie socio-professionnelle, le statut matrimonial, la résidence chez les parents etc.
Les jeunes sont des acteurs clés d’une société civile organisée. Cet ouvrage permet d’amener une compréhension plus cohérente de la jeunesse au niveau national marocain, comme à l’échelle internationale. La démarche méthodologique est pertinente ; elle permet un éclairage sur ces jeunes au Maroc. Cela dit, l’ouvrage n’est qu’un premier pas : il reste la nécessité urgente d’écouter, de comprendre et d’accompagner les jeunesses du Maroc qui ont trop souvent tendance à être instrumentalisées et ballottées.
Aujourd’hui, les politiques publiques ne font que soigner des plaies superficielles tandis que le malaise des jeunesses est bien profond et mérite des investigations sérieuses pour des solutions durables tant au niveau économique, social ou encore culturel.
Julie Tatin