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Dans l’oeil du cinéaste

Saâd Chraïbi retrace un parcours de cinéaste et d’intellectuel lucide sur l’histoire du Maroc.

Une enfance dans une famille nombreuse qui lui apprend la solidarité. L’abnégation d’une mère, endeuillée par la perte d’un enfant d’une simple rougeole – est-ce le point de départ d’une vocation médicale ? L’euphorie de l’indépendance. La découverte éblouissante du cinéma… Puis la vie… Un homme – on découvre à la fin du livre qu’il s’appelle Mamoun – revient sur sa vie, qu’il raconte à « trois charmantes princesses et un petit prince », ses quatre petits-enfants. Fragments de scènes… est le récit linéaire d’une traversée de soixante années d’histoire du Maroc, alternant entre le registre privé – la mémoire d’un homme– et le registre public, ses engagements politiques, sociétaux et artistiques, puisqu’il est cinéaste. En épilogue, Mamoun admet « donner libre cours à sa mémoire, sans préparation aucune, sans ordre précis ni objectifs définis [pour le ] pur plaisir du partage, du témoignage ».

La fraîcheur du témoignage

Saâd Chraïbi

Saâd Chraïbi raconte des scènes avec un vrai naturel : on accompagnerait presque le concert de youyous des voisins en réponse à ceux lancés par sa mère fière de l’excellent bulletin scolaire de son fils… Glaçante, l’exécution du libraire en bas de la maison en mars 1965. Sincère, sa passion pour le Japon et son amer sentiment de décalage par rapport au Maroc : « Qu’avez-vous, qu’avons-nous fait de notre pays ? Nous qui n’avions ni perdu la guerre, ni subi un cataclysme nucléaire ? » L’auteur saisit les répliques du tac-au-tac, comme celle lancée dans un amphithéâtre de médecine par un étudiant écoutant un ponte de la cancérologie expliquer qu’« il ne faut pas trop manger, il ne faut pas fumer, il ne faut pas boire de café ni d’alcool de façon abusive, il ne faut pas s’exposer au soleil et il faut diminuer votre activité sexuelle » : « Je veux mourir demain ! »

En préface, le politologue Mohamed Tozy salue « une écriture visuelle » nourrie de la technicité du cinéaste, une« autobiographie sans concession » tout en soulignant l’ambiguïté des choix narratifs de Saâd Chraïbi : « une autobiographie, des mémoires, un essai, une fiction voire un docu-fiction à la démarche visuelle ». Si ce récit à la troisième personne induit une distance et invite à considérer la dimension historique des faits racontés, il est nettement moins convaincant à propos de la trajectoire artistique même de Saâd Chraïbi. La totale anonymisation des personnes dont il est question et des films qu’il a réalisés ne lui rend pas justice. On aurait aimé au contraire qu’il assume ouvertement la dimension autobiographique, puisqu’elle est extrêmement transparente, et qu’il nous parle de celles et ceux à qui il adresse des éloges, avec qui il a contribué à l’éclosion d’une importante génération de cinéastes au Maroc et à la création d’un mécanisme de financement des films. Bref, qu’il incarne de façon plus concrète cette génération qui a fait émerger à l’écran des questions comme la condition féminine, la campagne d’assainissement, l’islamisme etc.

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

Fragments de scènes…
Saâd Chraïbi
À compte d’auteur, 304 p., 100 DH
Disponible : 3DISFILM : 00 212 5 22 27 44 22

23 février 2024