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Prédicateurs, truands et dollars en fuite

Le 3e roman du Nigerian Leye Adenle est un croustillant polar sur la corruption dans les sectes évangéliques.

Lorsque Funke, cachée sous le canapé de la suite où son amant (et sa femme) viennent d’être assassinés, appelle Amaka, l’avocate exilée à Londres passe un coup de fil à un mystérieux protecteur pour s’assurer qu’elle peut rentrer au Nigeria et saute dans le premier avion. Après avoir mis à jour la corruption des plus hautes sphères de l’État, le défi qu’Amaka a à relever – outre sortir des embouteillages de Lagos – est de tirer au clair quelques assassinats de pasteurs évangélistes à qui il serait naïf de donner le bon dieu sans confession. Et de tirer sa protégée Funke de cette situation déplaisante et dangereuse.

Une justicière pour la justice sociale

Leye Adenle

Leye Adenle reprend l’héroïne de ses deux premiers romans Lagos Lady (Métailié, 2016) et Feu pour feu (Métailié, 2020), pour mener, à sa suite et tambour battant, l’enquête sur la mafia évangéliste. Après le gouffre entre les classes sociales et la corruption de la classe politique, le romancier et comédien installé à Londres s’attaque à la mafia des prédicateurs. Il n’est ni question ici d’éloquence, encore moins de spiritualité et de désintéressement : on a affaire ici à des gourous de la pire engeance, manipulateurs, milliardaires, multipliant les jets privés pour sortir du pays des dollars en grosses coupures. Autour d’eux, gravitent un monde de malfrats, truands et prostituées – chacun.e cherchant à en tirer ce qu’ils/elles peuvent.

Dès le titre, Tout va bien se passer, on se rend bien compte qu’il n’y a qu’une Amaka, qui fait cavalière seule et ne recule devant aucune ruse ni aucun travestissement, qui va pouvoir surmonter ce fatras de faux semblants. Faux plafonds, canapés, niqabs, tombes et autres embouteillages… sont autant de manières de (se) cacher. Leye Adenle nous offre un thriller politique et social hilarant et haletant, porté par des personnages hauts en couleurs et un sens de la réplique. À la satire politique répond la satire psychologique, égratignant des pasteurs cupides et concupiscents, des truands superstitieux, craignant plus que tout le juju, la sorcellerie, des matriarches redoutables, ou encore des princes qui préfèrent rester discrets. L’auteur force le trait à dessein, restitue les gouailles, les tics de langages, ce qui donne un récit haut en couleurs.

La seule qui semble bénéficier d’un peu d’empathie – et de l’affection d’Amaka – c’est Funke, qui n’a pas eu beaucoup de chances dans la vie ni d’option à part se trouver un riche (vieux) protecteur. Car si la corruption donne lieu à des portraits au vitriol, Leye Adenle rappelle que ce sont les plus fragiles qui paient le prix des sommes détournées, des pouvoirs indus et des abus de toutes sortes. Vis-à-vis d’eux, et surtout vis-à-vis d’elles, son rire n’est pas grinçant. Amaka, dans tous ses excès, incarne un appel à la justice et au courage.

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

Tout va bien se passer
Leye Adenle, traduit de l’anglais (Nigeria) par Céline Schwaller
Métailié, 424 p., 280 DH

18 juillet 2025