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Enfance à l’abandon

En solidarité avec les revendications pacifiques et légitimes de justice sociale du mouvement GenZ212, En toutes lettres vous donne accès libre à plusieurs textes parus dans la collection Enquêtes, qui témoignent des conditions de vie indignes de nos concitoyens.

« Enfance à l’abandon

Pour réaliser ce livre, je me suis déplacé et j’ai enquêté dans plusieurs régions du pays : à Casablanca et sa périphérie, à Agadir, Inzegane, Taroudant, dans les villages autour de Taza, Tanger… Partout, le constat est amer : l’enfance est la grande oubliée des politiques publiques. Alors que les enfants représentent, selon les chiffres du recensement de 2014, 11,3 millions, soit un peu plus du tiers de la population du pays.

Dans plusieurs régions du Maroc, dans des douars enclavés comme dans les ceintures de la pauvreté des zones urbaines, l’enfance est privée de tout : d’école, d’accès à la santé, parfois de nutrition et même d’eau potable. Dans certains « quartiers » où je me suis rendu, des enfants vivent dans des « maisons » sans toilettes ni assainissement.

Si la pauvreté accable les adultes, elle pèse plus particulièrement sur les enfants. Elle est source, pour les plus petits, d’abandon scolaire, de mariage précoce et de travail dans les ateliers, dans les champs agricoles et dans les maisons des plus riches. Et quand à la pauvreté s’ajoutent d’autres facteurs de fragilité, tels que la maladie d’un des parents ou le handicap de l’enfant, les situations deviennent encore plus dramatiques.

Les enfants ont tout d’abord besoin de leurs parents. Or, là où je me suis rendu, j’ai constaté que la notion de famille est de plus en plus affaiblie : des pères démissionnaires, des mères au bout du rouleau. Et des enfants livrés à eux-mêmes, à la rue où la seule chose à partager, c’est la violence.

Dans ce livre, j’ai fait part de quelques-unes des difficultés que rencontrent les enfants dans ce pays. Il y est question de travail précoce, de l’inexistence d’un préscolaire de qualité, de l’absence d’état civil, de violences sexuelles, de la rue ou du parquage dans des centres de protection de l’enfance. J’ai également décrit la vie de ces enfants aujourd’hui en 2020, dans des quartiers difficiles de Casablanca et d’Agadir, à la gare routière de Oulad Ziane…

Si par endroits, la réalité de nos enfants est moins glauque, elle le doit principalement à l’immense travail de la société civile. Que ce soit Bayti à Casablanca, Anir à Agadir, Amane à Taroudant, Hanane à Tétouan, Insaf dans le Haouz, Chichaoua, Imintanout…, les associations, grandes et petites, jouent le rôle de pompier qui, avec des moyens souvent dérisoires, apporte de l’assistance aux centaines de milliers d’enfants en difficulté que compte le pays. Avec les moyens du bord, elles trouvent des solutions et interpellent l’État.

Ces structures associatives ont développé, tout au long de leur travail, un savoir-faire, des bonnes pratiques et une expertise qui peuvent être utilisés à une plus grande échelle par les pouvoirs publics pour mieux prendre en charge l’enfance en difficulté. C’est en effet la société civile qui a su mettre en place des actions et des alternatives afin de pallier l’absence ou l’inefficacité des structures étatiques.

Au Maroc, la responsabilité de la protection de l’enfance se perd entre plusieurs ministères : le ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social (MSFFDS) bien sûr, mais également celui de la Jeunesse et Sports, de l’Éducation, de la Justice, de la Santé, de l’Intérieur, de l’Emploi… en plus de l’Entraide nationale. La coordination entre ces parties est, le moins que l’on puisse dire, insuffisante. Les ressources humaines dévouées à cette cause restent en deçà des attentes.

Adoptée en juin 2015, la politique publique intégrée pour la protection de l’enfance au Maroc (PPIPEM), censée apporter une réponse gouvernementale aux maux de l’enfance, n’a toujours pas vu le jour. En décembre 2019, le MSFFDS a annoncé le lancement du Dispositif territorial intégré de protection de l’enfance à Tanger. Mais, rien de concret n’est venu consolider cette annonce. Ce dispositif devrait à terme garantir une complémentarité entre les programmes gouvernementaux et les services fournis par les acteurs œuvrant dans le domaine, donc une prise en charge et une protection effective de ces enfants.

Car il s’agit avant tout d’assurer à tous les enfants, où qu’ils soient, un enseignement public de qualité, un accès à un service de santé décent et une véritable protection. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. »

Hicham Houdaïfa

Enfance au Maroc, une précarité aux multiples visages, Hicham Houdaïfa, 2020
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1 octobre 2025