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Migration irrégulière des Marocains: au royaume des enfants disparus en mer

En solidarité avec les revendications pacifiques et légitimes de justice sociale du mouvement GenZ212, En toutes lettres vous donne accès libre à plusieurs textes parus dans la collection Enquêtes, qui témoignent des conditions de vie indignes de nos concitoyens.

« La terre a soif à douar Ouled Chatioui. L’année de sécheresse a fait mal aux sols, aux bétails et aux habitants de ce village perdu dans l’arrière-pays de la province de Kelâat Sraghna, à 300 kilomètres de Rabat. En ce mois d’octobre de 2019, ces terres arides sont sans grâce. Des paysages durs, presque sans culture, et abandonnés par leurs paysans. Des citernes d’eau en tôle rouillée brisent la monotonie de ce paysage couleur brun-jaune. Les jeunes du village tentent de fuir. Vers Marrakech. Vers Casablanca. Vers l’Europe au péril de leur vie. Le paysage est pauvre et triste. Dans ce douar de 1 100 habitants, la consternation se lit dans les regards, et la colère commence à luire dans les yeux de ceux qui ont faim et soif. À Ouled Chatioui, on compte les morts, les disparus et les rescapés.

Hécatombe

Ce douar fait partie de la commune d’Oulad Cherki. C’est de cette commune qu’une dizaine de jeunes sont partis fin septembre pour rejoindre l’Europe dans ce qu’on appelle désormais le « zodiaque de la mort ». Ils ont embarqué depuis la côte Atlantique, plus précisément de la plage de Zenata, entre Casablanca et Mohammedia. Cette périlleuse tentative d’émigration irrégulière s’est transformée en une hécatombe. Des 56 candidats à l’émigration, on compte seuls 11 survivants. 45 personnes ont perdu la vie. Parmi eux, 34 jeunes dont le corps n’a jamais été retrouvé. L’ensemble des villages de cette commune sont en deuil. Chaque famille a perdu un frère, un cousin, un parent. À l’horizon, on aperçoit les tentes caïdales annonciatrices de funérailles au sein des familles des harragas morts ou disparus en mer. L’ampleur du drame et sa surexposition médiatique ont fait que l’opinion publique a pris conscience du retour de l’émigration irrégulière des Marocains – une tendance qui remonte au moins à 2015. En 2018, 12 000 Marocains ont atteint l’Espagne, faisant d’eux la première nationalité parmi les Maghrébins, juste devant les Syriens et avant les Afghans.

Misère

Brahim a perdu son enfant dans le drame de Zenata. Son fils Jawad avait 15 ans. Il était en 3èmeannée de collège et il voulait rejoindre l’Europe. « J’ai moi-même apporté l’argent au passeur pour qu’il l’emmène avec lui », se lamente ce père inconsolable. Il n’a rassemblé les 25 000 DH (environ 2 600 euros), prix de ce voyage de la mort, que grâce à une tontine organisée avec les voisins du village. « Je travaille comme ouvrier agricole à la journée. Je n’ai ni terre ni élevage », insiste-t-il. Installé devant la demeure familiale, le père meurtri reçoit les condoléances des voisins et des proches. Brahim nous invite à entrer chez lui. À l’intérieur de cette maison en pisé, la mère de Jawad s’effondre en larmes. Elle ne trouve pas de mots pour décrire cette tragédie familiale. « Il faut se rendre compte du dénuement total de notre village. De notre misère », crie le père.

Oulad Cherki est une commune rurale de 7 400 habitants. L’activité agricole vivrière constitue l’unique source de revenu des 1 200 ménages. Les habitants vivent dans une pauvreté sans nom. La pauvreté touche 19 % de la population, contre 4 % comme moyenne nationale. Il suffit d’une année de sécheresse pour que toute la population subisse de plein fouet les effets des aléas climatiques. C’était le cas cette saison agricole. Les autres communes (Louansda, Mayat, etc.) dont sont issus les autres jeunes disparus connaissent la même situation socio-économique. Cette partie de la province baigne dans un océan de misère.

La province de Kelaat Sraghna connait l’immigration irrégulière. Les jeunes quittent cette terre qui ne veut plus de ses enfants. Entre le début des années 1990 et les années 2000, ils sont partis en masse vers l’Espagne et l’Italie. « À cette période, nous avons connu le premier naufrage des jeunes originaires de la région. Ils sont partis des côtes tunisiennes », se rappelle Abbas, habitant de la commune d’Oulad Cherki. Situé sur l’axe du « Triangle de la mort » (les provinces de Beni Mellal, Fquih Bensalah et Khouribga), les habitants de la province s’appuyaient sur ces réseaux pour partir au sud de l’Europe. Ce qui a contribué à forger l’image de l’Europe comme Eldorado.

Mahfoud, 25 ans, voulait fuir pour revivre, quitte à se jeter dans le ventre de l’Atlantique. « Il voulait s’offrir enfin une belle voiture et avoir de l’argent, comme les autres qui sont partis avant lui », confesse Ahmed, son père. Cet agriculteur revient sur les origines de cette misère foudroyante : « Depuis deux ans, les récoltes sont catastrophiques. Les revenus de l’élevage sont en baisse », décrit-il. Et de renchérir: «Le ciel est avare et la terre est stérile. Les murs en décrépitude du village parlent d’eux-mêmes. Ces jeunes n’ont pas choisi de partir. Ils ont été contraints de le faire. » Le jour de notre visite, les autorités venaient de l’informer que le corps de son fils avait été rejeté par la mer. Pour les autorités, Ahmed et son douar existaient enfin.

Mahfoud avait déjà émigré vers le « Maroc utile » depuis des années. Il errait de ville en ville à la recherche d’un gagne-pain. « Il a épargné durant deux ans. Il ne nous a rien dit de son projet d’émigration. Un matin, il m’a salué et m’a informé qu’il se rendait à Casablanca pour travailler. Trois jours après, on m’appelle pour me dire que mon fils a disparu en mer. Au départ, je n’ai rien compris. J’étais sous le choc. Il est parti sans nous dire adieu », se désole-t-il.

Youssef, 22 ans, a perdu beaucoup d’amis et de cousins dans ce drame de Zenata. Aujourd’hui, il se dit sauvé par son manque de moyens financiers. « Je devais partir avec eux, mais je n’ai pas pu rassembler les 25 000 dirhams exigés par le passeur », confie-t-il. Serait-il tenté par un nouveau départ ? « Bien sûr que oui. Depuis cinq mois, je n’ai travaillé que dix jours. Dans notre village, il n’y a ni travail ni avenir. Tout le monde veut partir. » Officiellement, le taux d’activité dans la commune est de 54 % mais ce chiffre cache la prépondérance du travail agricole (30 % des actifs), souvent dans des terrains appartenant à la famille.

Licencié khammas

Dans cette commune, les jeunes disparus ne sont pas tous issus de familles pauvres. C’était le cas de Yassine, 25 ans, licencié en droit public. « C’était un espoir non seulement de sa famille mais de tout un village », s’émeut M’hamed, son cousin, rencontré le jour de ses funérailles. Le jeune défunt était issu d’une famille d’éleveurs de la région. Amateur de tbourida, Yassine faisait le bonheur de sa famille et ami. « Yassin ne comptait pas sur ses parents. Il a passé plein de concours. Le dernier était celui de la police, en 2017. Il l’a réussi mais il n’a pas été appelé. Il comptait sur lui-même. Le printemps, il travaillait dans les vendanges des olives. L’été, il partait cueillir les pommes de terre dans les champs de la Chaouia. Mais est-ce normal qu’un licencié travaille comme khammas ? », s’interroge M’hamed, désabusé.

Son décès a ému toute la commune dont les habitants sont venus massivement faire leurs adieux à Yassine. L’enfant d’Oulad Cherki a été pleuré par les grands comme les petits. « Il faut que les criminels derrière ce drame soit arrêtés », exige avec fureur Ayachi El Ferfar, coordinateur du comité des familles des victimes, devant la foule.

Ce réseau a en effet tiré profit de la situation de la région pour recruter une centaine de jeunes durant trois mois. Les passeurs ont profité de cette obsession et de cette folie pour brûler les rêves de ces jeunes. L’échec tragique de l’opération de fin septembre et son lourd bilan lèvent le voile sur la recrudescence de la migration irrégulière des Marocains depuis les côtes méditerranéennes et atlantiques. Les corps échoués en mer de ces jeunes de Kelaât Sraghna et Beni Mellal mettent à nu une crise sociale aux origines économiques et politiques, chez la jeunesse marocaine.

Crises

« Les jeunes Marocains se sentent exclus des bénéfices potentiels du changement et ne voient pas un avenir meilleur se profiler à l’horizon, d’où leur désenchantement qui alimente leur désir de quitter le Maroc à la conquête d’un bien-être hypothétique ailleurs », dixit l’Institut royal des études stratégiques (IRES), think thank du palais royal marocain, dans son rapport Évolution du positionnement international du Maroc de 2018[1]. Ce rapport officiel compile une série d’indicateurs sur le royaume. Toujours dans la partie « Perspectives d’avenir de la jeunesse », la jeune génération se trouve « très tournée vers l’extérieur du pays ». Une tendance en constante évolution depuis 2009.

À l’origine de cette vague de départs qui touche autant les cadres que les sans-emplois, une situation économique problématique. « L’économie marocaine ne crée pas assez d’emplois pour satisfaire les ambitions d’une jeunesse de plus en plus exigeante », observe la Banque mondiale dans son mémorandum sur « le Maroc à l’horizon 2040 – Investir dans le capital immatériel pour accélérer l’émergence économique ». En moyenne, durant la période 2012-2016, seulement 26 400 nouveaux emplois nets ont été créés chaque année pour une population en âge de travailler (15-65 ans) qui a, elle, augmenté en net de 270 000 par an en moyenne. « Les jeunes arrivants sur le marché du travail sont donc confrontés à un chômage et à un sous-emploi de masse »[2], alerte cette institution financière internationale et qui a une grande influence sur les décideurs dans le pays. Le taux de chômage des jeunes âgés de 15 à 24 ans s’élève à plus de 20 % au niveau national et atteint même près de 40 % dans les villes. De quoi expliquer, en large partie, le nouveau départ des jeunes Marocains vers l’étranger. À ces explications économiques, il faut ajouter la situation politique qui est marquée par le retour en force de l’autoritarisme.

Déceptions

« Il y a eu des attentes que l’État n’a pas su satisfaire », explique Hicham Rachidi, co-fondateur de l’Association des familles des victimes de l’immigration clandestine (AFVIC), structure qui était active entre 2000 et 2008 sur ce dossier. Et d’expliciter sa pensée : « La nouvelle ère, le gouvernement de l’alternance comme celui de l’après-2011 ont créé des attentes. Mais qui n’ont pas été traduites en actes. De facto, les jeunes ont perdu espoir. La corruption et le népotisme sont la norme. À cela s’ajoute une négociation entre l’ancienne génération et la jeunesse. Les anciens ne veulent rien lâcher. Donc, naturellement les jeunes quittent le pays. » Une situation que résument bien les chants des supporters Ultras des équipes de football au Maroc (cf. Encadré).

Même son de cloche chez Mehdi Alioua, professeur associé à l’Université internationale de Rabat : « Les Marocains qui prennent les pateras ,c’est souvent lié à un effet générationnel où les difficultés socio-économiques se croisent à un sentiment collectif d’inertie politique ou de répression sociale et/ou étatique », analyse-t-il. Et de compléter : « Nous pouvons faire l’hypothèse que l’inertie politique, que traduit bien la faible croissance économique marocaine, a donné l’impression à la jeunesse que rien ne changera dans les années qui viennent, ces années qui sont pour les jeunes Marocains celles où ils espèrent « vivre leur vie », étudier, travailler, avoir des loisirs, faire des expériences, s’émanciper de leurs parents, se marier, etc. »

Un événement et un mouvement ont contribué à cristalliser cette situation : la mort de Mouhcine Fikri en octobre 2016. Le décès dans une benne à ordures de ce jeune marchand de poisson de la ville d’Al Hoceima, à 470 kilomètres de Rabat, a été le point de déclenchement d’un mouvement social appelé le Hirak dans sa région natale. La répression de ce mouvement à partir de juillet 2017 a conduit les jeunes de la région à fuir vers l’Europe. Omar Naji est président de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) – section de Nador. Il a suivi de près cette vague de départs des Rifains : « Ces jeunes n’ont jamais été inquiétés. Des villages du Rif ont connu des départs massifs, de peur de subir une répression ou des arrestations », affirme cet acteur associatif.

Pour Mehdi Alioua, la mort de Mouhcine Fikri a eu un effet ravageur sur la jeunesse du pays : « Nous pouvons faire l’hypothèse que la gestion sécuritaire des derniers mouvements sociaux à Al Hoceima, Jerada et ailleurs dans le Maroc, qui sont essentiellement des mouvements de jeunes, a donné l’impression à la jeunesse marocaine que rien ne peut changer dans ce pays et que si on milite pour plus de droits socio-économiques, on risque de finir comme Zefzafi, le leader du Hirak condamné à 20 ans de prison. D’ailleurs, les chiffres montrent bien que, depuis la mort de Mouhcine Fikri, les pateras ont repris la mer. »

À ces facteurs macro, s’ajoutent des dimensions micro qu’observe Mohammed Charef, directeur de l’Observatoire régional des Migrations Espaces et Sociétés (ORMES) de l’Université Ibn Zohr à Agadir : « Le déferlement des images comportant des modèles culturels des pays riches rapprochent virtuellement “l’eldorado européen”. Elles nourrissent en permanence l’imaginaire collectif et peuvent contribuer à inciter à toutes les formes de migrations (touristiques, d’études, de travail, ou installation définitive). Le tout, dans un contexte socio-économique où le travail rémunérateur se trouve de plus en plus difficile à trouver », souligne ce géographe de formation. Tous ces facteurs ont contribué à ce que le départ des Marocains reprenne sur les deux façades maritimes.

Hrig

Depuis 2018, les côtes marocaines sont les plus actives en matière de départs des migrants irréguliers. Les jeunes Marocains sont ceux qui risquent le plus leur vie pour rejoindre l’eldorado européen. Du jamais vu depuis le début des années 2000. Au point que l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (FRONTEX), bras opérationnel de l’Union européenne, a lancé en avril 2019 un signal d’alerte face à cette tendance. Une alerte sous forme de pression adressée aux autorités marocaines : « L’augmentation pourrait être attribuée aux arrivées sur des embarcations de grande capacité, qui ont continué à être utilisées pour quitter le littoral marocain, principalement par des migrants marocains », signale l’agence européenne[3].

Hassan Ammari est membre d’Alarme Phone, réseau international d’assistance téléphonique pour les personnes en situation de détresse en mer Méditerranée. Il s’oppose aux politiques de FRONTEX : « En 2017 et 2018, les départs se faisaient du littoral de Nador-Al Hoceima, Assilah-Larache et Tanger. À cette période, chaque 24 heures, on comptait deux départs de pateras depuis le Maroc. Cette progression des départs a fini par faire réagir les autorités marocaines. À partir de septembre 2018, la marine royale et la gendarmerie royale maritime mobilisent leurs moyens pour stopper les départs des pateras et des zodiaques. Ces opérations se sont soldées par un drame. Le 25 septembre 2018, une mission de la marine royale tire à balles réelles sur un Go fast conduit par un passeur espagnol, faisant une victime. Il s’agit de Hayat, 20 ans, originaire de Tétouan. Le décès de cette jeune étudiante suscite colère et indignation dans sa ville. Des membres du groupe Ultras de la ville sont arrêtés et poursuivis en justice pour avoir participé à une manifestation en solidarité avec Hayat. Le 9 octobre, la marine royale tire une nouvelle fois sur une embarcation de migrants, blessant un jeune de 16 ans. Ce nouvel incident est passé inaperçu. Les autorités marocaines étaient décidées de faire barrage à cette vague migratoire et obtenir ainsi de nouveaux financements européens. Fin 2018, le ministère de l’Intérieur annonçait la mise en échec de 89 000 tentatives d’émigration irrégulière, en hausse de 37 % en une année. Parmi ces candidats à l’émigration, on compte 19 000 Marocains. La même source ajoute que 229 réseaux de trafic ont été démantelés. Ce tour de vis sécuritaire a conduit les réseaux de passeurs à tenter des traversées depuis l’Atlantique.

En septembre 2018, la Marine royale a sauvé la vie à 19 Marocains candidats à l’émigration irrégulière, dont une femme et un enfant. Cette tentative téméraire avait été menée à bord d’une embarcation en bois « dépourvue de tout moyen de propulsion », indiquait un communiqué des Forces armées royales (FAR). « Ils ont été abandonnés par leur passeur au milieu de l’océan », précise l’armée. Ils ne doivent leur salut qu’à un appel des familles à la Marine royale. L’embarcation de fortune avait pris l’eau et a coulé juste à la fin de l’opération de sauvetage. Malheureusement, le groupe de Zenata n’a pas eu cette chance.

« Partir depuis les côtes de Casablanca et atteindre les îles Canaries ou le Sud de l’Espagne est mission impossible, surtout avec le type d’embarcation qu’utilisent les passeurs », souligne Abdelkabir Taghia, président de l’Association Sakia El Hamra pour l’immigration et le développement, qui suit l’évolution des mouvements migratoires en Atlantique depuis des années.

Même son de cloche de la part d’Ammari, d’Alarm Phone : « Ces personnes ont vraisemblablement été victimes d’une escroquerie de la part d’un réseau de trafiquants. Les politiques européennes sont les premières à blâmer dans ces drames. » Ces drames rappellent la multiplication des routes migratoires depuis le Maroc. En plus des côtes méditerranéennes du royaume, les candidats à l’émigration irrégulière, qu’ils soient marocains ou étrangers, tentent de passer depuis les côtes atlantiques. Une route particulièrement périlleuse. De quoi faire craindre d’autres morts en mer. Cette hypothèse funeste fait fulminer d’indignation Mehdi Alioua : « Les Marocains ont suffisamment payé le prix du sang et des larmes avec les drames du hrig, ça suffit ! Il faut dire à nos jeunes que nous les aimons et que nous allons, avec eux, trouver ensemble une solution : ils sont l’avenir. » »

Les chants de la colère et de l’exil
Face au vide des organisations politiques, les Ultras sont désormais les représentants « légitimes » de la jeunesse urbaine au Maroc. Chaque week-end, ils crient leur colère contre les institutions du pays et leur amour à leurs clubs. Ce mouvement a essaimé partout au Maroc, et ce depuis plus d’une décennie. La célèbre chanson F-bladi delmouni des supporters du Raja avait constitué un électrochoc social. Son succès populaire au Maroc constituait un baromètre de l’état d’une jeunesse marocaine qui, au fil du temps, a perdu espoir en l’avenir au Maroc. Avec le retour en force du hrig, les Ultras se sont approprié ce fait social pour le scander dans les tribunes. Leur verbe chante l’exil comme une déchirure, comme un dernier recours avec à l’injustice, et la répression. À Tétouan, les ultras Los Matadores supporters du MoghrebAthletic ont été en première ligne dans la protestation suite à la mort de Hayat Belkacem, 19 ans, étudiante décédée sous les balles de la Marine royale marocaine en septembre 2018. Plusieurs des membres de ce groupe ultra ont été entendus par la police de la ville et l’un d’entre eux a été condamné à de la prison ferme pour « désobéissance ».

Le fils de peuple chante, Ultras Hercules–Tanger 2018
Pourquoi ô mon pays
Pourquoi tes jeunes sont partis
Il y a ceux qui sont arrivés à bon port
Et ceux qui sont morts
Ici la vie est 
negra
C’est la raison de l’émigration
Félicitations ! Le pays s’est vidé
Ni Santé, ni éducation, que le népotisme et la corruption
Si le Curva s’est vidé, tes enfants sont en exil

Un cœur triste– Winners, WAC 2019
La jeunesse a choisi le hrig
La jeunesse a fui le pays
Il y a ceux qui ont traversé la mer, et ceux qui sont morts
Je ne me sens plus à l’aise
Dans le pays des voleurs
Ne rêvez pas d’entrer au paradis
Rendez-vous dans l’au-delà

Dans mon pays, j’ai subi une injustice, Ultra Green Boys– Raja, 2018
On navigue dans un brouillard
On veut en sortir indemne
Ils nous ont donné le haschisch de Ketama
[…]
Vous avez gâché et écarté tous les talents
Vous vous êtes accaparés les richesses du pays
En les distribuant aux riches étrangers
Et Vous avez opprimé des générations

Ici pays de la Hogra, Ultra Hercules–Tanger 2018
L’émigration est mon objectif
Le bateau me fera traverser
Il me fera une faveur
Ici je perds ma jeunesse
Mon unique soutien est Dieu
[…]
Allez, le bateau fais-nous voyager
Pour fuir ce pays


[1] Évolution du positionnement international du Maroc (2018), IRES (consulté le 15 octobre 2019)

[2] Mémorandum économique : le Maroc à l’horizon 2040 – Investir dans le capital immatériel pour accélérer l’émergence économique, 2017 (consulté le 15 octobre 2019)

[3] L’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières, Risk Analysis, 2019 (consulté le 15 octobre 2019)

Salaheddine Lemaizi

Migrations au Maroc, l’impasse? collectif, 2022
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9 octobre 2025