Une invitation à l’écoute
Dans un passionnant essai, le psychanalyste Thamy Ayouch questionne le racisme et la façon dont la psychanalyse doit faire face à ce levier d’exclusion et d’inégalités systémique.
Le racisme ?« un principe de division et d’articulation du corps social », maintenant dans l’exclusion, l’invisibilité et la privation de droits des pans entiers de la société au nom d’une fiction. Pour Thamy Ayouch, la race n’est pas une question culturelle mais totalement politique, une question de « rapports de pouvoir, historiquement construits », qui a ceci de particulier qu’elle s’inscrit dans un processus historique lié à l’esclavage et à la colonisation, mais qu’elle procède par déni : « C’est précisément sur l’effacement de cette historicité que reposent ses modalités d’application sociale et son efficace ». La race sur le divan cherche à « lever ce démenti social, politique, économique et académique des rapports de race et de leurs effets psychiques ». Le livre éclaire à la fois les effets délétères de cette violence systémique sur le sujet racisé et son inconscient, mais aussi les angles morts de la pratique et de la théorisation de la psychanalyse, cherchant comment celle-ci peut le reconnaître pleinement et prendre en charge sa souffrance.
Pour une psychanalyse située

En procédant par allers-retours entre les dimensions personnelle et politique, subjective et collective, individuelle et sociale, singulière et commune, Thamy Ayouch démontre l’aspect structurel d’une violence qui est la conséquence de l’hégémonie sur les institutions d’un groupe qui dans le même temps martèle des discours prônant l’unité du corps social, à travers l’universalisme ou la méritocratie. « Un État ne considérant que des individus abstraits peut échouer à assurer un modèle politique fondamentalement égalitaire et inclusif. » Il énumère les discriminations dans l’accès aux prérogatives matérielles et symboliques (éducation, emploi, santé), discriminations durables et transgénérationnelles. De fait, cette violence, faite de microagressions permanentes, produit sur le sujet racisé un trauma durable trop rarement reconnu en analyse. Thamy Ayouch interroge les résistances des analystes, entre leur indifférence à une violence dont la plupart ne fait pas l’objet, et la mobilisation de concepts comme la résistance à l’analyse. L’enjeu est donc de construire une psychanalyse située, pleinement intersectionnelle, permettant de sortir de la fiction de l’universel.
Thamy Ayouch revient donc sur l’histoire de la psychanalyse et sur ses impensés : si Freud était sensible à l’antisémitisme, il n’a pas vu l’esclavage ni la colonisation. Reprenant les termes de Charles Mills, il interroge « l’ignorance blanche », ou le déni de toute supériorité raciale blanche, qui produit une « épistémologie de l’ignorance qu’il s’agit de lever dans une posture clinique et théorique en psychanalyse », pour reconnaître par l’intersectionnalité « le positionnement du sujet politique, éthique et théorique et la situation de son énonciation ». Ce livre propose un dialogue riche et pointu entre la psychanalyse, l’histoire, la philosophie, la théorie politique, les études de genre, les études décoloniales. Il conclut sur une invitation à « perdre le Nord » : « dé/générer la psychanalyse revient à la décoloniser ».
Écoutez l’entretien de Thamy Ayouch : « Pour une psychologie intersectionnelle » sur le podcast des éditions Anacaona, une maison d’édition spécialisée dans les littératures produites par les minorités (raciales, socioéconomiques…).
Et vous, vous lisez quoi ?
Kenza Sefrioui
La race sur le divan
Thamy Ayouch
Anacaona éditions, 336 p., 280 DH








