« À ceux qui espèrent »
Le troisième livre du romancier Samir Toumi est un thriller psychologique et politique dans les zones grises de la société algérienne.
« Je ne suis pas de la police mais je m’intéresse beaucoup à vous. » C’est en ces termes que le mystérieux Amin S. capte l’attention de Djamel B., écrivain à succès en pleine crise d’inspiration, qu’il dissout dans l’ennui des soirées mondaines et des joints. Amin prétend « connaître lesystème de l’intérieur, pour l’avoir longuement pratiqué » et demande à l’écrivain un roman « sur [lui], ou plutôt à partir de [lui] ». La commande est la suivante : « Je ne veux pas d’un livre qui dénonce, mais d’un livre qui décrit. Ce n’est pas à moi, et peut-être même pas à toi, auteur, de dénoncer, mas au lecteur de le faire. Moi, je veux que tu racontes le système, avec, justement, toutes ses subtilités et ses contradictions ! » On est en 2010, l’Algérie semble à la veille d’un basculement, Djamel accepte la proposition. S’ensuit une intrigue quasi policière, entre Alger, Moretti et la Kabylie, dans une société où se mêlent argent, décadence et menaces. Dans ce monde de faux-semblants, entre l’écrivain et les puissants, qui mène le jeu ?
Samsar et manipulations

Après Alger, le cri (2013) et L’effacement (2016), Samir Toumi livre un deuxième roman aussi grinçant que haut en couleur. Pour se documenter, Djamel B. va de rencontres en rencontres, toutes plus déconcertantes les unes que les autres. Bien entendu, « les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite ». On y croise Madame Samira et ses fêtes secrètes, Abdelkader, le parvenu, Sissy, l’avocate désabusée, des dandys, des malfrats, d’anciens hommes d’État, et toutes sortes de consultants, intermédiaires et lobbyistes dépeçant le pays et convaincus d’œuvrer pour « le bien commun » – tout en ayant les pieds sur terre dès qu’il s’agit de monnayer leurs services. Le monde que nous fait traverser l’auteur est insaisissable, tant il est construit par la rumeur, le fantasme, la théorie du complot et toute la palette de jeux d’influence servant les intérêts des élites et leur soif d’hégémonie.
Samir Toumi souligne le défi éthique d’établir la vérité et de se tenir à distance de ces zones grises dans lesquelles prospèrent tentations et alliances improbables. Ici, pas de manichéisme, mais la chaîne infinie du manipulateur manipulé et le bruit de fond entêtant des récits souvent caricaturaux que chacun produit pour justifier ses compromissions. Quant au courage, et à la liberté, s’ils n’ont que peu de place dans cette comédie de la corruption généralisée, il est l’horizon de « ceux qui espèrent », à qui est dédié le livre…
Et vous, vous lisez quoi ?
Kenza Sefrioui
Amin, une fiction algérienne
Samir Toumi
Elyzad/ barzakh, 252 p., 260 DH








