ALCS: portrait d’une association pionnière dans la lutte contre le VIH/sida au Maroc
À l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida et 40 ans après la découverte du VIH, l’action de l’association de lutte contre le sida (ALCS) montre que le dépistage est toujours d’une importance majeure.
Quand une personne pousse la porte de la clinique « Espoir » de santé sexuelle et reproductive mise en place par l’Association de lutte contre le sida (ALCS) à Tanger, Chakib sera certainement dans les parages. Ce bénévole de 31 ans supervise les services dispensés au sein et dehors de la clinique, notamment dans le domaine de la sensibilisation et de l’éducation, il veille également sur tous les aspects médicaux et psychologiques. Chakib garde un œil sur les stocks, gère les rendez-vous, assure la fluidité des opérations de la clinique et traite les questions des bénéficiaires tout en maintenant la confidentialité des informations les concernant. « Je voulais faire partie de l’effort collectif visant à rendre notre communauté plus sûre et plus saine. Actuellement, le travail associatif, que certains considèrent comme une perte de temps, s’est intégré dans ma vie quotidienne et je m’efforce toujours de contribuer au succès des activités de l’ALCS », dit-il.
Prévenir l’infection au VIH et aux hépatites virales, garantir l’accès des personnes vivant avec le VIH aux traitements et aux services de prise en charge et défendre leurs droits ainsi que ceux des communautés les plus vulnérables à l’infection sont les trois objectifs que s’est assignée l’Association de lutte contre le sida. En mars 2023, l’ALCS a soufflé sa 35ème bougie marquant plus de 3 décennies de lutte sur le terrain contre une pandémie, certes en perte de vitesse, mais toujours présente.
Au Maroc, selon les données du ministère de la Santé et de la Protection sociale publiées en 2023, 21 200 personnes vivaient avec le VIH en 2022. La prévalence du VIH est de 0,08 % en population générale et 760 personnes ont découvert leur séropositivité au cours de cette année, dont près de 30 % sont âgées de 14 à 25 ans. Toutefois, le président de l’Association Mehdi Karkouri note que « seules 79 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique et à peine 93 % des personnes sous traitement antirétroviral avaient une charge virale indétectable six mois après le début du traitement. Deux chiffres en deçà des objectifs de l’accélération de la riposte fixés par l’ONUSIDA pour l’éradication de l’épidémie à l’horizon 2030. »
Mot d’ordre : sensibilisation
Aujourd’hui, 40 ans après la découverte du VIH, le meilleur moyen de le combattre reste toujours la prévention. Dans ce sens, l’éducation par les pairs est une nouvelle approche adoptée par plusieurs associations dont l’ALCS, celle-ci vise à réduire les comportements à risque. Ainsi, les changements de comportements sont introduits par les membres d’un groupe en l’occurrence les populations les plus vulnérables. Cette approche cible les populations très exposées au risque d’infection du VIH à savoir les travailleuses du sexe, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les personnes usagères de drogues.
À la section de Rabat, le programme de prévention est supervisé par Zouhair, 40 ans, salarié de l’ALCS. Avec ses collègues et des groupes de volontaires, il cible les jeunes dans les milieux scolaires et universitaires mais aussi dans les lieux de loisirs. Très souvent, ce qui démarre comme une action de sensibilisation contre le sida finit en un cours sur l’éducation sexuelle. « Les jeunes connaissent le sida mais ont des pratiques qui les exposent au virus. L’une des raisons est que la question du sida est toujours taboue et donc les jeunes n’en parlent pas avec liberté. Et c’est là que l’expérience des pairs donne de bons résultats pour faire baisser le taux d’infection. » nous explique Zouhair.
À noter que la prévention basée sur le changement de comportements en direction des populations très exposées au risque d’infection, est une composante indispensable de la stratégie de lutte contre le sida dans un pays à basse prévalence comme le Maroc (0,08 %).
Toujours plus de tests de dépistage
Le dépistage est une étape cruciale de la lutte contre le sida puisqu’il permet de briser la chaîne de transmission du VIH. Intensifier le dépistage est d’autant plus important que seules 79 % des personnes vivant avec le VIH au Maroc connaissaient leur statut sérologique en 2022. « Le dépistage effectué par l’ALCS est communautaire. Il est réalisé par des conseillers et des conseillères issu.es des communautés les plus vulnérables à l’infection. Toutes et tous sont conscient.es de leur appartenance à une même communauté. Leur fort sentiment d’appartenance et leur connaissance aiguë des habitudes et lieux de vie de leurs pairs permet à notre association de dépister plus de la moitié des personnes vivant avec le VIH alors qu’elle ne réalise que 10 % des tests au niveau national », affirme Mehdi Karkouri.
En 2022, les équipes de l’ALCS ont réalisé 42 380 tests de dépistage du VIH, dont 721 étaient positifs. Beaucoup passent par l’étape de déni avant d’accepter leur sérologie. Dans la section de l’ALCS d’Essaouira, Meriam, 39 ans, bénévole et médiatrice thérapeutique depuis 8 ans, se souvient d’un cas particulier : « C’était un jeune homme dans la fin de la vingtaine, on venait de lui annoncer sa séropositivité. Il est devenu hermétique à ce que lui disaient les médecins, il refusait d’accepter sa sérologie. On l’a orienté vers moi et j’ai eu une séance d’une quarantaine de minutes avec lui au bout de laquelle il a fini par comprendre qu’il devait suivre une trithérapie. Je l’ai revu des années plus tard, et il va bien. »
L’ALCS dispose de 23 centres de dépistage anonyme et gratuit implantés dans 19 villes situées dans les corridors de vulnérabilité au VIH. En plus de ces centres, l’association dispose de 5 unités mobiles permettant aux personnes éloignées des grands centres urbains de bénéficier d’un dépistage anonyme et gratuit. Les conseiller.es de l’ALCS se déplacent régulièrement, muni.es de leurs mallettes de dépistage, dans des lieux fréquentés par les populations les plus exposées au risque d’infection.
Suivi des personnes infectées et des populations à risque
« L’infection au VIH est le début d’un chemin et non pas la fin. » Cette phrase, Meriam la répète souvent en tant que médiatrice thérapeutique dans la clinique de santé sexuelle et reproductive de l’ALCS d’Essaouira. L’Association dispose de 7 autres établissements du genre dans le Royaume.
On y propose, entre autres services, un accompagnement psychosocial et thérapeutique pour les personnes vivant avec le VIH. « La thérapie antirétrovirale continue d’améliorer la vie des personnes infectées par le VIH. Avec ce traitement, une personne séropositive peut s’attendre à ce que sa qualité de vie ne diffère pas de celle des personnes séronégatives. C’est pour cela que je veille à ce que les personnes atteintes quittent rapidement la phase de déni pour stopper la transmission ultérieure du VIH », explique Meriam.
À Tanger, Chakib n’est pas peu fier d’avoir assisté des personnes séropositives pour reprendre confiance en elles. « Grâce à notre assistance, certaines personnes porteuses du VIH ont eu des enfants séronégatifs et c’est une consécration pour notre travail » ajoute-il.
Afin de répondre au mieux aux besoins des communautés les plus vulnérables à l’infection, l’ALCS fait preuve d’innovation. Mehdi Karkouri nous confie que « l’association envisage d’élargir la dispensation de la PrEP, un traitement médicamenteux qui empêche l’infection par le virus du Sida chez des personnes séronégatives, pour atteindre les régions éloignées des centres urbains au moyen de ses unités mobiles. Elle envisage aussi de proposer la forme injectable de cet outil de prévention qui a fait ses preuves. Au Maroc la PrEP est disponible depuis 2017, uniquement dans les cliniques de santé sexuelle et reproductives de l’ALCS. »
Tant que le VIH est en circulation, les militant.es de l’ALCS resteront en première ligne. C’est le cas de Zouhair, de la section de Rabat, qui promet de dédier son temps et ses efforts à la lutte contre le sida : « Mon travail peut être psychologiquement éprouvant mais j’en tire une énorme satisfaction et un sentiment de devoir accompli. »
Sofia Fagroud
Sofia Fagroud est journaliste présentatrice et reporter à la radio Chaîne Inter de la SNRT où elle travaille depuis 2009 après un passage par la télévision. Elle a obtenu le Grand Prix de la Presse Nationale en 2018 pour son grand reportage « Les Petits Voisins du Soleil » sur la scolarisation des enfants dans la commune rurale de Guessat près de Ouarzazate. Sofia Fagroud est titulaire d’une licence en journalisme de l’Institut supérieur de l’information et de la communication (2007) et d’un Master en Communication de la Faculté des Lettres. Elle a obtenu le premier prix du concours international organisé par l’Agence française de développement médias Canal France international (CFI) dans la catégorie Emploi, jeunesse et environnement pour son reportage intitulé Algues rouges contre pauvreté et pollution, diffusé sur les ondes de la Radio SNRT Chaîne Inter et sur En Toutes Lettres.