BII: Quand gaspillage rime avec solution
Faire écolo, cela peut aussi être rentable. De jeunes entrepreneurs le prouvent en investissant dans du business vert et créent de la richesse à partir des problématiques existantes. C’est le cas de la structure BII, une entreprise sociale qui lutte contre le gaspillage et l’insécurité alimentaire à Casablanca en redistribuant les invendus auprès de celles et ceux qui en ont besoin, enfants en situation vulnérable et migrants. À zéro coût et zéro CO2, et en se faisant une marge. La définition même de l’économie sociale, solidaire et environnementale !
« Si à l’échelle mondiale, on estime que le tiers de la nourriture est gaspillé, au Maroc, ce sont 45 % des produits qui sont jetés à la poubelle. Selon un rapport récent de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), chaque Marocain jette annuellement 91 kilos d’aliments à la poubelle, alors qu’au même moment, 16 % des enfants marocains souffrent de retard de croissance, selon le Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM) », lance d’emblée Patricia Vega Del Rio, cofondatrice de BII. La situation est encore pire durant le mois sacré du ramadan. « Les études de la FAO et du Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes (CIHEAM) indiquent que pendant le mois de Ramadan, 45,1 % des familles marocaines jettent l’équivalent de 60 à 500 dirhams (6 à 50 euros) par mois. Cette perte alimentaire et monétaire permettrait de nourrir pendant une année tous les enfants en situation de vulnérabilité du pays. » Ces chiffres montrent l’impact autant social qu’écologique du gaspillage alimentaire au Maroc. Et l’importance de campagnes de sensibilisation afin de changer nos habitudes de consommation. Mais, en attendant, des entreprises sociales comme BII œuvrent à ce que des aliments soient sauvés du gaspillage et profitent, notamment, aux plus précaires.
Partager plutôt que de jeter
BII travaille à travers sa plateforme digitale qui connecte les food donors (distributeurs de nourriture) à des clients particuliers ou à des structures associatives qui ont besoin de ces denrées alimentaires.
La plateforme digitale se divise en deux sections : le food sharing (partage de nourriture), un service payant pour les entreprises et le food market (le marché de la nourriture) ouvert aux particuliers désireux d’obtenir de la nourriture à prix réduit par un simple clic sur leur téléphone. « Toute la nourriture qui n’a pas été vendue passe automatiquement au don 24 heures avant la date de péremption. Elle est ainsi acheminée vers les associations grâce à notre réseau de volontaires et au transporteur Glovo. Tout le monde est gagnant dans cette configuration et, bien sûr, BII prend une commission sur les transactions commerciales », assure Patricia Vega Del Rio. Il s’agit là de production journalière, de repas de restaurants, de produits proches de la péremption dans les supermarchés, de fruits et légumes trop mûrs ou jugés hors calibre.
Dans l’unité Food sharing, il y a aussi une case don. « On y trouve des produits qui ne seront jamais affichés en public et n’apparaissent qu’à l’équipe BII, qui est informée qu’un don est en attente. » Il s’agit principalement des buffets des hôtels, mais aussi d’importateurs et distributeurs de produits alimentaires qui ne peuvent ou ne veulent pas vendre leurs produits à un prix soldé. Cela va du chocolat à l’eau minérale, en passant par les jus, les pâtes, la farine, le sucre, le lait… Des tonnes de nourriture qui sont acheminées directement aux enfants et aux migrants dans le besoin. Rien qu’en 2022, BII a pu sauver pas moins de 12,7 tonnes de nourriture, distribuer plus de 50 600 repas et économiser 621 000 DH (62 000 euros) de nourriture qui auraient été gaspillés.
Côte d’Ivoire, Madagascar, Île Maurice…
Derrière cette aventure se trouve Patricia Vega Del Rio, une jeune Chilienne qui a travaillé un peu partout dans le monde pour des associations, afin de mettre en place des projets de développement durable. Elle s’installe au Maroc et cofonde en juin 2020 Sustainable Food Solution (SFS), qui devient quelques mois plus tard BII. « C’est un mot qui en Djula, un des dialectes de la Côte d’Ivoire, veut dire aujourd’hui. Mais, c’est également bee, l’abeille en anglais, symbole de l’économie circulaire et c’est to be, être ». C’est que cette solution a commencé bien loin du Maroc, à l’Ile Maurice en 2015, avec un premier projet ManzerPartazer, qui « lutte contre le gaspillage et l’insécurité alimentaire en connectant les invendus aux enfants dans le besoin. Un an plus tard, l’initiative a été étendue à Madagascar en 2016 ». Deux années plus tard, à l’Île Maurice, ManzerPartazer laisse la place à FoodWise avec la même approche sociale et solidaire. Puis, le concept a été étendu à la Côte d’Ivoire et au Maroc. « Nous sommes aujourd’hui présents à Casablanca, mais notre ambition est de toucher les autres villes du Royaume. Dans le long terme, nous souhaitons nous positionner comme le principal acteur de la lutte contre le gaspillage alimentaire en Afrique », ajoute Patricia Vega Del Rio.
En plus de lutter contre le gaspillage alimentaire à travers leur activité entrepreneuriale, Patricia et les autres membres de BII, sans oublier les volontaires, travaillent sur la sensibilisation, en organisant des événements et des conférences sur le sujet, mais également en animant des ateliers au sein des entreprises. « La sensibilisation a une place centrale dans ce projet, car pour faire autrement on doit changer nos habitudes actuelles. Lutter contre le gaspillage, c’est améliorer la nutrition des plus pauvres, surtout des enfants, et réduire en même temps l’empreinte carbone », conclut Patrica Vega Del Rio.
Hicham Houdaïfa
Ce reportage a été réalisé dans le cadre de MediaLab Environnement, un programme conçu par CFI financé par le Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères. MediaLab Environnement s’inscrit dans la stratégie internationale pour la langue française et le plurilinguisme.
Journaliste depuis 1996, Hicham Houdaïfa a travaillé notamment au Journal hebdomadaire. Il s’intéresse essentiellement aux sujets sociétaux : liberté de culte, droits des femmes, situation des migrants subsahariens… Cofondateur d’EN TOUTES LETTRES, il dirige la collection Enquêtes. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages parus chez EN TOUTES LETTRES : Dos de femme, dos de mulet, les oubliées du Maroc profond (2015), Extrémisme religieux, plongée dans les milieux radicaux du Maroc (2017, prix spécial du jury du prix Grand Atlas 2017) et Enfance au Maroc, une précarité aux multiples visages (2020). Il a contribué aux ouvrages collectifs Migrations au Maroc : l’impasse ? (2019) et Maroc : justice climatique, urgences sociales (2021).