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Casa aux mille visages

En 100 films, Roland Carrée et Rabéa Ridaoui inventorient les facettes et travestissements de Casablanca.

C’est une des villes les plus filmées au monde. Autant son nom a évolué à travers l’histoire, autant Casablanca a inspiré les réalisateurs et réalisatrices depuis l’aube du cinéma. Sa jeunesse, sa modernité et ses contrastes en ont fait une source intarissable d’images et d’histoires, bien différentes de celles qu’inspirent les villes impériales et même Tanger. Pour Roland Carrée, qui enseigne le cinéma à l’ESAV de Marrakech, et pour Rabéa Ridaoui, formatrice en cinéma pour l’Institut français du Maroc, Casablanca est chargée des cauchemars et des rêves de ses habitants et c’est justement ce va-et-vient entre réalité et fantasmes qu’ils soulignent dans ce livre. Cette intuition a orienté la sélection des 100 (101, en fait) films marocains et internationaux qu’ils ont retenus sur les 250 films « tournés à et/ou représentant Casablanca » depuis le début du XXème siècle jusqu’aux œuvres les plus contemporaines – indépendamment de leur qualité artistique.

Un personnage familier

Mythifiée à l’époque coloniale mais jugée « pas assez exotique », Casablanca a été revisitée à l’indépendance par les cinéastes qui avaient à cœur de revenir sur les stéréotypes. En la figeant sur la pellicule, ils en ont fait un symbole « des ordres politique, social, économique et culturel ». Pour la réalisatrice Sofia Alaoui, Casablanca « est véritablement une ville-personnage, une mosaïque vivante qui rassemble ce qui est épars, offrant une toile riche en complexité humaine et que le cinéma a toujours tenté de saisir. » Et surtout, faite personnage, elle se déguise. Casablanca a été tour à tour Casablanca, Téhéran, Alger, Beyrouth, Le Caire, Kaboul et même Pékin, accueillant les tournages de ces films qui ne pouvaient pas toujours se faire dans les villes qu’ils évoquaient. « De fait, explicitement ou non, et même sans jamais avoir mis les pieds au Maroc, cette ville nous est familière », insistent Roland Carrée et Rabéa Ridaoui, en listant les immeubles Art Déco, la corniche…

Dans une première partie, les auteurs reviennent sur la « Ville-rêve », avec sa dimension orientaliste voire de propagande. La seconde partie, « Ville-locomotive », s’intéresse aux modernités urbaines et aux regards depuis l’indépendance et pendant les années de plomb. Enfin, dans « Ville-monde », il s’agit des œuvres à partir des années 2000, témoignant de la dimension multiculturelle et de l’internationalisation du cinéma. Les introductions de chaque partie rappellent le contexte politique et culturel de façon synthétique. Les notices, rédigées dans un style fluide sur une double page, sont illustrées de plusieurs photos, évoquant à la fois l’esthétique des films et les lieux représentés. On y découvre des noms oubliés –  et vu l’histoire et la vision qu’ils portent, tant mieux – comme Le grand jeu de Jacques Feyder (1933), où Casablanca est le retour à la modernité avant le retour en France. Il y a l’inévitable film de Michael Curtiz (1942), qui a en retour influencé des façades et suscité la création du fameux Rick’s Café. Et bien sûr, L’enfant maudit de Mohamed Osfour (1958), Mémoire 14 d’Ahmed Bouanani (1971), De chair et d’acier de Mohamed Afifi (1959), Transes, d’Ahmed El Maanouni (1981), le chef-d’œuvre de Mohamed Reggab, Le coiffeur du quartier des pauvres (1982), El-Batalett – femmes de la médina de Dalila Ennadre (2000), WWW – What a Wonderful World de Faouzi Bensaïdi (2006), Aji-Bi, les femmes de l’horloge de Raja Saddiki (2015)…Et quelques inattendus, comme Tartarin de Tarascon de Francis Blanche (1962) ou Le retour de la panthère rose de Blake Edwards (1975). Un livre qui donne envie de tout (re)voir…

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

Cinécasablanca, la Ville Blanche en 100 films
Roland Carrée et Rabéa Ridaoui
Le Fennec, 290 p., 200 DH

8 novembre 2024