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Enquête à Petite-Ville

Le 8ème roman de Mélikah Abdelmoumen est un poignant thriller social et psychologique sur l’exclusion et sur l’égalité des chances.

Qui a assassiné Simon James ? Qui avait intérêt à le faire taire ? Le journaliste de 40 ans a été retrouvé massacré dans le parc de Petite-Ville, sur les ruines de la Zone, une banlieue misérable, détruite dans un incendie dont les circonstances n’ont jamais été élucidées et où ses parents avaient perdu la vie. L’affaire avait été classée, un clochard déclaré responsable, les habitants rescapés expulsé vers les zones non convoitées pour les projets de gentrification. Mais Simon James menait l’enquête et tenait un journal. C’est Mia Saïd, dévastée par le chagrin, qui plonge dans ses souvenirs, dans les archives et dans les ombres venues du passé pour tirer les fils de cette histoire bouleversante.

Dans les ombres de la gentrification

Mélikah Abdelmoumen

Mélikah Abdelmoumen, figure importante des lettres canadiennes francophones et autrice entre autres d’un essai remarqué sur l’appropriation culturelle, Baldwin, Styron et moi (Mémoire d’encrier, 2022, prix Pierre-Vadeboncoeur 2022), entrelace avec une grande maîtrise un drame social, psychologique et merveilleux. Mia et Simon ont grandi ensemble, recueillis par Annick, travailleuse sociale convaincue que « la valeur d’une société se mesure à la manière de traiter ses citoyens les moins nantis, les plus fragiles » et désespérée du cynisme ambiant. L’orphelin et la petite fille abandonnée se confrontent très jeunes au racisme, à la violence de classe. Mais leurs parcours sont très différents. Lui, « triple intrus : de classe, de race, de langue » (puisqu’il est francophone), devient un écrivain et un journaliste reconnus, fort de son sens rigoureux de l’analyse et de son humour. « Il débusquait les raccourcis et formules, les discours publics et les prises de parole politiques dont on se sert pour faire passer les vessies pour des lanternes, les injustices pour des fatalités, et les régressions pour des progrès. » Elle dérive, multiplie les échecs, se perd dans l’alcoolisme, reproduit les schémas dont elle a été victime et se voit retirer son enfant. La romancière accorde une place majeure à la complexité des sentiments de ces deux enfants, puis adultes, ainsi qu’au rapport qu’ils entretiennent à leurs mondes, fait de leur vie d’avant, la vie perdue, de leur enfance aux côtés d’Annick, mais aussi des ombres et des phénomènes dépassant la rationalité qui donnent une dimension fantastique à ce récit.

La trajectoire de Simon et Mia s’inscrit sur fond de spéculation immobilière, de magouilles criminelles et de violences physiques, économiques et surtout symboliques infligées au plus fragiles par les « polémistes de coin de comptoir qui n’ont jamais manqué de rien », comme le très médiatique Michel Renaud, très proche de l’ancien et richissime maire de la ville. En faisant évoluer chacun de ses personnages, Mélikah Abdelmoumen égratigne toutes les assignations et les mythes, comme celui de la méritocratie, et nous invite à les suivre dans leur complexité et leur profondeur. Un très beau roman.

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

Petite-Ville
Mélikah Abdelmoumen
Mémoire d’encrier, 304 p., 280 DH

19 septembre 2025