Espoirs sans fin
Le premier recueil de poèmes de la journaliste et militante des droits humains burundaise Ketty Nivyabandi appelle au retour lucide à la vie après la violence.
« La nuit n’a pas de maître. La nuit regarde celle qui l’a veillée ». C’est cette sagesse rundi que Ketty Nivyabandi, aujourd’hui en exil au Canada, met en exergue de son premier recueil. En 2015, elle était en première ligne des manifestations pour protester contre la candidature anticonstitutionnelle du président de la République à un 3e mandat et a dû fuir avec ses enfants. S’en sont suivi dix années de silence, « jusqu’à ce que les poèmes me parlent, un soir de givre » :
« Es-tu prête pour nous ?
Nous sommes la souffrance et la béatitude du monde
Tes épaules sauront-elles nous porter ? »
Ses mots disent la souffrance et la dignité de l’exil, lui donnent « l’assurance calme de celles qui donnent couleurs au monde ».
À la mémoire de l’amie assassinée
Dans Je suis un songe de liberté, Ketty Nivyabandi se fait chroniqueuse des luttes et des espoirs de celles et ceux qui luttent pour la démocratie et pleurent leurs défunt.es assassiné.es dans la violente répression, en particulier Christa, avec qui elle avait organisé la première manifestation féminine à Bujumbura, et qui fut torturée puis exécutée par les militaires. Sa mémoire hante le livre et la poétesse lui offre une bouleversante postface.
La nostalgie du pays est un thème récurrent, mais d’un pays en mouvement pour les droits humains :
« Je suis ton aube
Je suis ta nuit
Je suis une poussée de fièvre
Je suis un battement d’ailes
Je suis une ardeur lycéenne
Je suis un cri sans fin
Je suis le sommeil d’un peuple millénaire
Je suis une angoisse inexpliquée
Je suis un songe de liberté
Et cette nuit
C’est de toi
Terre émeraude
Que j’ai rêvé. »
Ketty Nivyabandi dialogue avec ses compagnes et compagnons de lutte, les met en garde : « À la première goutte de sang versée / La dernière heure d’innocence aura sonné ». Elle clame leurs espoirs, leur détermination, chuchote ses doutes : « Il paraît que la paix est là ». Elle se souvient des phrases assassines : « Refais ta vie, poète. C’est fini. » Mais c’est la résistance qu’elle choisit : « Ne jamais céder au sucre des dissidences molles. » Et elle appelle au combat « pour la tendresse ». Alors la poétesse prend un vieux papillon pour réenchanter le monde après la destruction, s’applique à recueillir la beauté d’un été, d’un érable, des quartiers d’Istanbul, revient à la paix, à l’amour. Car ce recueil se doit, pour garder la mémoire des victimes, de « revenir à la vie », dans un élan sans fin de résistance.
Un très beau recueil, où l’inventivité formelle sert à la justesse du propos.
Et vous, vous lisez quoi ?
Kenza Sefrioui
Je suis un songe de liberté
Ketty Nivyabandi
Jimsaan / Bruno Doucey, 80 p., 180 DH