« Être trop »
Le premier récit d’Ahmed El Falah suit l’errance d’un homme en quête de soi.
« Mawlana, j’ai tout essayé, ça ne marche pas. Je me suis cherché, mais je ne me retrouve pas. » C’est sur ce cri que s’ouvre le livre d’Ahmed El Falah, l’errance d’un homme perdu en quête de sa vérité, de son être profond. L’errance d’une vie. Le maître à qui s’adresse cet homme est le poète et mystique persan Djalâl ad-Dîn Rûmî, le suppliant de le guider vers lui-même.
En une cinquantaine de pages à l’écriture fluide, l’auteur campe un personnage clivé, amputé de la conscience de soi. Un homme qui s’écrit à lui-même et se cherche dans un Rabat sinistre, nocturne, sous la pluie et la neige, dans une ville désertée par l’humanité, l’amour et l’empathie, en compagnie de chiens ou de bébés qui veulent aller au Parlement, et où les seuls sourires semblent des rictus.
Soliloque
Ahmed El Falah est comédien et metteur en scène et a fondé la compagnie Rassif à Rabat. À 30 ans, il signe un texte mélancolique et profond sur le sentiment d’inexistence, qui pourrait donner lieu à une belle mise en espace au théâtre, tant son personnage a de présence. Si le narrateur, dont on ne sait ni le nom ni l’âge – sauf qu’il n’est pas temps pour lui de rejoindre les ombres – peine à se trouver, il est au contraire tissé du regard des autres, condamné pour « être trop ». Dans un procès en clin d’œil à celui de Kafka, il n’a aucune chance : « Tu seras condamné à vivre dans l’étroitesse du personnage que nous t’avons confectionné ». Un rôle de méchant… Dans le désert de la nuit, il se confie à un homme qu’il prend pour Rûmî mais qui lui dit : « Ton visage est illisible pour eux. Tu es le risque qu’ils ne sauront jamais prendre », tant ils sont enfermés dans « la platitude de la réalité ».
L’auteur insiste sur la solitude qu’on peut ressentir en présence d’une société conformiste, où le regard est moins haineux que soucieux d’infliger des humiliations. Le livre est traversé par des regards qui ne parviennent pas à créer un lien, des regards qui assignent et jugent, au point que le voyeurisme devient la « seule fissure » pour entrer dans la vie d’autrui, pour n’y voir qu’une pauvreté mécanique et des assignations stériles. L’absurde, la violence et le vide sont les biais pour questionner la folie, à l’aune de ce quatrain de Rûmî :
« Ô toi dont le monde entier contemple le beau visage
Ô toi pour qui les âmes des hommes déchirent leur vêtement
Aux yeux des gens intelligents
Ta folie est meilleure que la raison des autres »
« Au loin, j’ai aperçu un être humain »… Mais le livre ne se conclut pas sur une note optimiste. Une plume à suivre, qui inaugure avec force la collection Ahyae « Littérature en libertés », dédiée aux jeunes plumes…
Et vous, vous lisez quoi ?
Kenza Sefrioui
Le journal d’un fou
Ahmed El Falah
Éditions Le Sélénite, 64 p., 100 DH