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La Palestine comme une lutte féministe pour la libération ou le génocide intensifié d’Israël à Gaza

Il est certain aujourd’hui que celleux qui ne comprennent pas l’engagement de la majorité des féministes auprès des Palestinien.nes, en tant qu’individus et groupes opprimés par l’armée israélienne, se posent désormais la question suivante : quel est exactement le lien entre la lutte pour la libération de la Palestine et la lutte des femmes et des personnes queer pour leur émancipation ? C’est une des questions auxquelles répond Palestine : un féminisme de libération, un livre de Nada Elia publié en juin 2024 chez Remue-Ménage, une maison d’édition québécoise francophone. Le livre explore également le rapport à la terre en tant que question féministe, la terre étant un espace où l’on vit mais que nous ne possédons pas, comme le démontre l’occupation israélienne depuis des décennies. Cet ouvrage constitue un outil éducatif majeur, apportant des éléments de réponse à celleux qui ne comprennent pas la lutte palestinienne contre l’occupation et la colonisation, ou à celleux qui refusent de comprendre.

Ce livre a réussi là où les médias occidentaux et autres ont échoué depuis les attaques du 7 octobre. Il illustre concrètement les idées développées dans Féminisme décolonial de Françoise Vergès, qui distingue un féminisme décolonial intersectionnel, visant à libérer tout le monde des oppressions militaires et autres, d’un féminisme civilisationnel, capitaliste et impérialiste, qui considère les femmes comme des mineures à libérer par un Nord global mieux équipé et « plus féministe ».

Avec ses mots, Nada Elia, militante et professeure palestinienne basée aux États-Unis, démonte l’idée propagée en Occident selon laquelle la population palestinienne est violente et incivilisée, une idée qui ne sert qu’à légitimer les crimes commis en Palestine depuis les attaques du 7 octobre. Elia rappelle à ses lecteurs la sauvagerie des crimes commis à Deir Yassin et d’autres atrocités perpétrées sur cette terre depuis les années 1930. Elle dénonce également le silence de certaines féministes face à la brutalité des attaques à Gaza, la colonisation et l’occupation en Cisjordanie, ainsi que l’invisibilisation des voix féministes palestiniennes et propalestiniennes dans les espaces de lutte du Nord global.

Ce que Nada Elia réussit surtout, c’est de mettre la lumière sur des femmes palestiniennes qui ne s’identifient pas nécessairement comme féministes, mais qui ont mis leur carrière et parfois leur vie au service de la cause palestinienne, que ce soit en Palestine ou dans la diaspora. À titre d’exemple, et ce n’est évidemment pas le seul, elle nous parle de Hend El Hosseini, dont les féministes civilisationnelles n’ont jamais entendu parler et dont certaines refuseraient même d’en entendre parler. Hend El Hosseini s’est mise au service des enfants orphelins qui ont perdu leurs parents lors des attaques israéliennes répétées en Palestine depuis la Nakba, en passant par l’Intifada et jusqu’à aujourd’hui. Elle a créé une maison de l’enfance à Jérusalem pour leur permettre d’accéder à l’éducation, à la culture et aux arts, un engagement qui n’a jamais cherché à avoir sa part du gâteau dans un système cishétéronormatif capitaliste et raciste.

Soufiane Hennani

En citant des figures comme bell hooks, Nada Elia pose cette question cruciale : les femmes palestiniennes ne sont-elles pas des femmes ? Elle insiste sur les crimes contre les femmes et les enfants, ciblés par l’armée israélienne, en se basant sur les déclarations de hauts responsables israéliens, tels qu’Ayelet Shaked, qui a appelé ouvertement au meurtre des enfants palestiniens en les qualifiant de « petits serpents », ou Mordechai Kedar, un ancien officier des renseignements militaires israéliens, qui a proposé le viol des épouses et mères des combattants palestiniens.

En tant qu’outil académique accessible au grand public, le livre est documenté et référencé, avec des textes scientifiques traduits de l’anglais par des chercheuses québécoises engagées à rendre les productions des femmes et féministes intersectionnelles disponibles en français. On y trouve également une conversation de Nada Elia réalisée par Francis Dupuis-Déri, professeur en études féministes ayant longtemps travaillé sur les mouvements masculinistes au Canada et ailleurs dans le monde.

Ce livre crée une rupture définitive avec un féminisme capitaliste et un pinkwashing qui réduisent les combats des opprimés à obtenir une part du gâteau proposé par un système cishétéronormatif capitaliste et raciste. En reprenant les mots de Nada Elia, le combat des féministes et des personnes queer cherche à changer les ingrédients de ce gâteau. Elia n’hésite pas à qualifier de « faux-féminisme » un féminisme qui se contente d’une part du gâteau.

Humaine, solidaire et courageuse, Elia libère une parole féministe rare dans le champ culturel, académique et militant. Ses réflexions constituent un remède à l’antisémitisme et à l’islamophobie en expliquant que les attaques israéliennes en Palestine ne sont pas motivées par des raisons religieuses, mais par une instrumentalisation de la religion pour déposséder les Palestiniens de leur terre. La lutte palestinienne n’est pas antisémite car elle n’est pas motivée par la haine des Juifs, mais par le désir de libérer une terre appartenant historiquement à la population autochtone palestinienne, « impulsion à la libération » selon Nada Elia. En témoigne la mobilisation croissante de jeunes juifs pour la cause palestinienne, comme le mouvement Tsedek ! en France.

Lire ce livre n’est pas simplement un acte de solidarité avec une Palestine occupée, harcelée et violentée, mais aussi un espoir pour imaginer un monde autre que celui d’aujourd’hui. Sans aucun doute, Palestine : Un féminisme de libération est une plaidoirie pour un monde où la sauvagerie n’a pas de place, un monde libre des violences et des injustices, de l’islamophobie et de l’antisémitisme.

Soufiane Hennani

Palestine, un féminisme de libération
Nada Elia, entretien et traduction par Liza Hammar et Francis Dupuis-Déri
Remue-Ménage, 128 p., environ 120 DH

19 juin 2024