« Le droit de jeûner ou pas, publiquement ou non, n’est pas à marchander »
Que pensez-vous de l’acte de l’association « Mali » ?
Je pense que l’initiative de « Mali » est légitime et pertinente. Je sais qu’elle ne donnera pas de résultats immédiats, mais sa valeur, c’est de poser le débat. Je ne pense pas qu’au débat entre lecteur de journaux ou acteurs politiques mais aussi au sein de la population. En dehors des cas d’incitation à l’intolérance qu’ils peuvent susciter, je crois que les tenants du respect de la société seront surpris de voir que même les pratiquants vont dans le sens de la démocratie, celle du développement pour et par les citoyens, pas celle du maintien d’un ordre politique basé sur le carcan des interdits. À propos de la rupture publique du jeûne en dehors des heures rituelles, je voudrais d’abord dire, pour ne pas avoir l’air de quelqu’un de neutre – qui n’est pas concerné autrement que par souci intellectuel ou par curiosité – que personnellement je ne jeûne pas durant le mois du ramadan et cela depuis près de quarante années. Il ne m’est pas venu à l’esprit que l’heure de revendiquer la rupture publique du jeûne (et d’agir en conséquence) était arrivée et devrait être dépénalisée. Je n’y ai pas pensé parce qu’en fait ce n’est (n’était ?) pas une priorité parmi les miennes, pour moi qui fonctionne par rapport à des priorités qui me semblent plus accessibles. J’avais peut-être tort. En tout cas, il faut dater cette initiative du Groupe « Mali » et ne pas la laisser tomber.
Quel est votre avis sur l’article 222 qui incrimine la rupture du jeûne en public ?
Je pense que cet article doit être abrogé. Cette revendication ne se limite pas seulement à ceux qui ne « ramdanent » pas, mais de beaucoup de gens pieux qui font le ramadan mais qui en ont marre que la politique de l’État soit basée sur des interdits de ce genre. Ce n’est pas parce que les gens rompent le ramadan publiquement que les convictions des croyants en seront ébranlées. Et disons même que si tel était le cas, cela voudrait tout simplement dire que ces gens ne sont croyants que par peur de cet article 222.
Comment évaluez-vous la réaction de l’État à travers ses structures religieuses et politiques ?
La réaction de l’État et ses appendices démontrent tout simplement, qu’aucune page de notre histoire n’est tournée. L’éternelle histoire de l’intervention étrangère. Nous faire croire que nous sommes une nation assiégée. Tous les acquis d’aujourd’hui ont été à un moment donné qualifiés de valeurs antinationales, anti-islamiques. Ça a commencé avec Hassan II et ça continue avec Mohammed VI. Comment voulez-vous croire à un changement de l’intérieur du régime ?
Mais la majorité des Marocains ne partage pas votre avis…
Depuis cinquante années environ, ancienne et nouvelle ère confondue, les tenants de la « majorité » ne tiennent le pouvoir que par les interventions de l’armée et des forces de sécurité. Comment voulez-vous que sous un régime despotique les gens expriment ouvertement ce qu’ils pensent quand toute revendication est accusée d’être suscitée par des forces étrangères ? Si aujourd’hui il y a des acquis, et il y en a, il a bien fallu qu’au départ, des minorités (en apparence) lancent des revendications et les assument non seulement en parole, mais aussi en les mettant autant que possible en pratique. Et chaque acquis, alors qu’il n’était qu’une revendication, a toujours été qualifié de valeur importée par les ennemis de la nation. Le droit de jeûner ou pas, publiquement ou non, d’être homosexuel ou non, d’avoir des points de vue différents sur le Sahara, ne sont pas des droits à marchander, mais des droits disons naturels.
Paru dans les colonnes du Journal Hebdomadaire en septembre 2009