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Maghreb ou Non Maghreb ?

Le Maghreb, la région la moins intégrée au monde, a-t-elle un futur ? Tel est le sujet de la conférence organisée le 26 novembre dernier par la London School of  Economics and Political Science. Pour Idriss Jebari professeur au Trinity College de Dublin, « l’expression “Non-Maghreb” renvoie à l’idée du non-accomplissement de l’intégration politique dans cette région ». En effet, l’histoire de l’unité politique du Maghreb apparaît comme une succession de rendez-vous manqués.

Entre legs historique et volonté de redéfinition, quelles perspectives pour ce Maghreb aux acceptions plurielles. Renforcer l’intégration peut passer par différentes voies : créer un marché commun, maintenir de bonnes relations diplomatiques, ou encore mettre en place une coopération politique accrue.

Idriss Jebari retrace une brève chronologie de ces tentatives de structuration et de multilatéralisme. Il évoque l’émergence de partis nationalistes et anticoloniaux qui semèrent les premières graines de l’unité maghrébine, le projet de Maghreb Uni porté à Tanger en 1958 ou encore la signature des accords de l’UMA en 1988, important tournant de la coopération politique régionale. Malgré l’espoir suscité, ces unions balbutiantes ne parvinrent pas à aboutir durablement. Les velléités des différentes puissances, les épineuses questions frontalières et les instabilités politiques furent autant de facteurs qui mirent en lumière la fragilité du projet unitaire.

Azzedine Layachi, professeur de politiques comparées à l’université Saint John de New York, revient quant à lui sur les nombreux enjeux qui ont rendu difficile une perspective d’intégration dans la région (impératifs du développement économique, problèmes de gouvernance, de sécurité et dégradations environnementales). Si la plupart des pays du Maghreb se sont intégrés à la mondialisation, ils ont finalement noué très peu de liens entre proches voisins. Les Printemps arabes ont également rebattu les cartes d’un équilibre géopolitique instable en poussant les gouvernements à préserver la paix nationale au détriment d’une projection dans un projet d’unité régionale plus large. Pour Azzedine Layachi, il est pourtant nécessaire de ne plus utiliser une approche nationale pour aborder la thématique de l’intégration régionale. Face à l’insuffisance des politiques, il pense que c’est l’engagement des citoyens qui peut impulser de véritables changements.

Pour Amine Bouhassane co-fondateur du Think Tank Initiatives for the Maghreb Economic Community, l’unité du Maghreb se justifie aussi sur le plan économique. Pour lui, les projets de coopération n’ont pas fonctionné jusque alors car on a confondu un rêve idéologique avec un plan économique clair. Pour lui si l’unité économique semble être une gageure elle n’en demeure pas moins réalisable au vu des atouts dont dispose le territoire. Il préconise alors l’ouverture des frontières, la création d’un marché économique commun et le soutien des PME et du secteur privé très dynamiques mais mal accompagnés. Mettre en place des cadres économiques et juridiques permettant de favoriser les échanges tout en donnant une préférence pour le marché régional lui semble nécessaire pour permettre son réel développement.

L’ancienne ministre du Tourisme tunisienne Amel Karboul insiste également sur la nécessité de favoriser l’entraide entre les pays du Maghreb, entraide qui serait judicieuse au vu de la complémentarité des territoires. Cela s’accompagnerait d’un soutien et d’une mise en dialogue des initiatives locales. Cette valorisation lui semble capitale car le manque d’exposition pousse les individus à se penser en simple exécutant plutôt qu’en créateur. Mettre en avant les initiatives de la société civile tout en luttant contre les failles de l’éducation et les inégalités demeurent nécessaire pour ouvrir aux jeunes des perspectives d’avenir. Face à la montée de l’extrémisme religieux, il faut, insiste-t-elle, recréer du sens pour ne pas laisser aux mouvements djihadistes la possibilité de s’en déclarer détenteur du monopole.

Dès lors, quelles formes, quelles priorités et quel degré d’intégration faut-il privilégier ? Redéfinir la coopération ne peut en tout cas pas faire l’économie d’une réelle prise de conscience. Quel que soit la voie empruntée, poser les bases de cette redéfinition de l’unité maghrébine implique, pour Idriss Jebari, de rapporter de la pluralité en intégrant sans les faire disparaître les identités amazighes et toutes les autres identités marginalisées.

La conférence en anglais est à retrouver ici.

Capucine Froment

7 décembre 2020