Richard Jacquemond présente la culture pop égyptienne
« La culture, c’est la continuation de la politique par d’autres moyens », rappelle Richard Jacquemond. Le directeur de l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) était le 7 octobre dernier l’invité des webinaires du Centre arabe de recherche et d’études politiques (CAREP) de Paris. Cette association indépendante promeut la production du savoir scientifique en provenance du monde arabe. Richard Jacquemond nous invite à nous promener dans la culture pop égyptienne à l’occasion de la sortie de son livre Culture pop en Égypte. Entre mainstream commercial et contestation (Riveneuve), un ouvrage collectif qu’il a codirigé avec le professeur Frédéric Lagrange.
Ce livre s’intéresse à une diversité importante de supports culturels (littéraires, musicaux, audiovisuels, numériques, publicitaires) tout en inscrivant leurs évolutions dans les grandes périodes politiques de l’Égypte contemporaine du moment prérévolutionnaire jusqu’à la période qui suivi la prise de pouvoir du général Sissi.
Entre transgression et continuité
Le moment révolutionnaire qui démarra en 2011 apparut comme un bouillonnement culturel dont l’influence sur la production actuelle demeure manifeste. Cette période féconde entraîna un renouvellement artistique formel notamment perceptible dans le domaine musical à travers l’essor du mahraganat, un genre de musique électronique initialement très localisé et populaire qui gagna ses lettres de noblesse au cours de la révolution et finit par être incorporé à la culture mainstream. Cet « esprit de la révolution » se diffuse également dans des productions culturelles habituellement peu enclines à transgresser les codes comme les feuilletons télévisés. Est citée à cet égard l’adaptation au petit écran du roman Les années de Zeth (Dath) de Sonallah Ibrahim. La réalisatrice de la série transpose le message de l’œuvre et lui fait répondre aux enjeux de son époque, une superposition des visions qui rend cette série particulièrement subversive.
Révéler les dynamiques de catégorisation et mettre au jour les frontières plus ou moins troubles entre ce qui relève ou non de la culture légitime sont aussi des enjeux auxquels s’attache Richard Jacquemond. Il constate que si dans le cadre de la musique certains chanteurs populaires très décriés dans les années 1970 finissent par trouver leur place au sein d’une culture populaire acceptable, les lignes bougent plus timidement pour la littérature. Certains auteurs parviennent toutefois à brouiller les pistes en rencontrant un grand succès populaire tout en s’éloignant des canons habituels à l’image d’Ahmed Mourad qui se joue des codes de la représentation classique de l’écrivain. La culture pop s’adressant et étant majoritairement produite et consommée par des générations plutôt jeunes, elle supporte d’autant plus facilement un renouvellement de ses topos et de ses modes d’expression.
Internet et les réseaux sociaux bousculent également cette production culturelle en faisant émerger de nouveaux contenus comme les mèmes qui, toujours plus populaires, constituent une bonne illustration d’une culture à la fois mainstream et façonnée par internet. En outre, internet joue un rôle majeur dans l’exportation des productions artistiques permettant de dépasser les frontières nationales et d’instituer un rapport plus direct entre public et créateur.trice.s de contenus. Dans le domaine de la littérature, on note ainsi le développement de sites comme Goodreads qui favorise l’accès et les échanges autour du livre. Néanmoins, cette amplification de la diffusion n’est pas sans entraîner certaines dérives comme le piratage. Si endiguer ce phénomène semble difficile, la circulation de ces fichiers PDF piratés peut permettre aux auteur.trice.s de gagner malgré tout en notoriété contribuant de manière indirecte à la vitalité d’une production culturelle égyptienne finement analysée dans l’ouvrage.
Pour (re)voir la conférence du CAREP, c’est ici.
Capucine Froment