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Dissolution de Racines : « injuste et injustifiée »

Directrice de l’Association Racines, Dounia Benslimane réagit au jugement qui, le 26 décembre 2018, a prononcé la dissolution de l’association, pour avoir hébergé dans ses locaux le tournage de l’émission satirique « 1 Dîner, 2 Cons ». 

Quelle est votre réaction à la décision de justice de dissoudre Racines ?

Racines condamne ce jugement qu’elle considère comme injuste et injustifié.

Il est très clair, à la lecture de ses attendus, que le ministère de l’Intérieur souhaite mettre fin à nos activités, prétextant qu’elles ne se conforment pas aux statuts de l’association. Racines s’est donné pour mission de promouvoir la liberté d’expression. Ce qu’elle fait, en menant elle-même des projets dans ce sens et je vous renvoie à ses différents projets : SpeakArt, Li Tgal Yddar, 3lach o kifach…qui avaient tous une dimension en lien avec la liberté d’expression, l’émancipation citoyenne, la redevabilité, l’évaluation des politiques publiques, etc. Racines a toujours agi par ailleurs en faveur de l’accueil et l’accompagnement des initiatives qui s’inscrivent dans le cadre de la défense des principes des droits humains et de toutes les libertés fondamentales, garanties à la fois par la Constitution et par les traités internationaux ratifiés par le Maroc.

Le parquet tient l’association pour responsable de cette rencontre et des propos qui y ont été tenus, que répondez-vous à cela ?

Racines n’est pas l’organisateur de cette émission. Ce qui devrait être une raison suffisante pour ne pas la poursuivre ni prononcer ce jugement à la base. Elle est encore moins responsable du concept ou des propos tenus par les invités.

Elle a mis à disposition ses locaux pour le tournage, dans le cadre de son engagement à accompagner toutes les initiatives citoyennes qui promeuvent la liberté d’expression. La participation de l’un de ses dirigeants à l’émission ne lui confère pas non plus la qualité d’organisatrice. C’est le bon sens même !

« Même à l’apogée des années de répression au Maroc, les associations n’étaient pas dissoutes pour leur opinion politique… »

S’agit-il pour vous d’un procès de la liberté d’expression ?

En demandant la dissolution de Racines pour avoir hébergé l’émission « 1D2C », le ministère de l’Intérieur envoie un signal négatif à l’ensemble de la société civile. La décision judiciaire qui en a découlé n’augure rien de bon et sonne comme une menace à l’encontre du monde associatif en général, et de l’action culturelle en particulier. De plus, ce signal se répercute au-delà des frontières du pays et arrive à la communauté internationale…

Même à l’apogée des années de répression au Maroc, les associations n’étaient pas dissoutes pour leur opinion politique… Aussi, il y a comme une incohérence entre les textes (constitutionnalité de la liberté d’expression et de la participation citoyenne), le discours officiel (promotion du rôle incontournable de la société civile), la réalité du terrain et le contexte de cette dissolution.

Que comptez-vous faire dans les prochains jours ?

Nous allons nous consacrer à notre affaire et commencer par nous pourvoir en appel. Le jugement n’étant pas exécutoire, nous continuons nos activités et nos engagements vis-à-vis de nos partenaires et de nos bailleurs de fonds, et ce en concertation avec eux. Nous irons jusqu’au bout des procédures juridiques disponibles.

Nous sommes également en étroite relation avec des organisations amies et des partenaires à travers le monde, qui sont indignés par ce jugement et qui nous apportent leur entier soutien, afin d’augmenter les chances de le casser…

Dans tous les cas, quelle que soit l’issue des procédures judiciaires, Racines continuera à militer pour la liberté d’expression, la citoyenneté, l’émancipation et la diversité culturelle.

Propos recueillis par Hicham Houdaïfa

9 janvier 2019