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Un petit livre, une grande bibliothèque

Rencontre autour d’Islam, la part de l’universel (2019, En toutes lettres)

Islam, la part de l’universel, écrit en français par Abdelwahab Meddeb au début des années 2000, vient d’être réédité chez En Toutes Lettres dans une version bilingue. Ce jeudi 11 avril à Casablanca, la librairie Livremoi accueillait en ses murs Mohamed Zernine, l’auteur de la traduction en arabe de ce texte, ainsi qu’Amina Meddeb.

Cette rencontre a permis d’évoquer le souvenir de feu Abdelwahab Meddeb et son apport dans les domaines de la culture et la littérature. Islam, la part de l’universel, originalement publié en 2003 par L’Association pour la diffusion de la pensée française (ADPF) à environ 12 500 exemplaires, a été distribué uniquement dans les réseaux d’Instituts Français, dans l’enseignement en France et quelques particuliers. Le publier en arabe, en parallèle de sa version en français, c’était offrir à ce petit livre et son immense bibliographie une chance d’être partagé par un plus large public, bilingue ou non.

C’était aussi l’occasion d’insister sur l’importance de la traduction. Mohammed Zernine a dit avoir eu un « coup de cœur » pour le texte de Abdelwahab Meddeb. « Je ne traduis que les textes que j’aime, a-t-il déclaré, et ce texte, je l’ai aimé en tant qu’enseignant, que chercheur et en tant que citoyen curieux. » Il fallait donc, dans cette traduction, ou « acte d’amour », faire part de cette sensibilité plurielle qui émane du texte et qui résulte de sa lecture. « Traduire, c’est une épopée », selon l’auteur de la traduction en arabe. Il estime que la traduction est un « échange, une construction d’un langage inter-civilisationnel ». Le traducteur est plus qu’un amoureux du texte, « c’est un passeur », qui connaît les chemins dans ce labyrinthe de la communication, guidant ses lecteurs dans le texte.

4 millions de manuscrits non étudiés

Amina Meddeb a rappelé que Abdelwahab Meddeb était certes un poète, un romancier et un philosophe, mais qu’il avait également un intérêt particulier pour la traduction : il est l’auteur de la traduction de Saison de la migration vers le Nord de Tayeb Salih chez Actes Sud. Elle rejoint Mohammed Zernine dans son éloge de la discipline de la traduction en plaçant celle-ci comme « la constitution même d’une civilisation ». Elle évoque l’âge d’or de la traduction dans les pays arabes, aujourd’hui passé sous silence, tout comme les quatre millions de manuscrits inconnus du grand public, qui dorment dans des bibliothèques et collections privées.

Après la forme, Mohammed Zernine nous parle du fond : ce livre est « petit certes, mais il contient une grande bibliothèque ». Et s’il n’a pas connu l’auteur, il a ressenti un rapport intellectuel dans sa thèse fondamentale qui découle des acquis de la recherche. Islam, la part de l’universelest une déconstruction des stéréotypes que beaucoup ont sur l’Islam, mais c’est surtout une reconstruction de la vision de cette civilisation. Selon Mohammed Zernine, l’auteur a écrit contre toutes les formes de l’intégrisme — comme il le faisait beaucoup dans ses articles et autres ouvrages selon Amina Meddeb — qui représentent souvent la thèse de la rupture. À cette rupture s’oppose la continuité, dans laquelle évolue (dans l’espace et dans le temps) l’identité de l’Islam.

Il faut pouvoir adopter une pensée vivante, dynamique dans la réalité et dans le temps pour (re)construire l’identité d’une personne, d’une religion et d’une civilisation. Ces identités ne sont certainement pas figées. Mohammed Zernine cite Spinoza, dont l’engouement pour la traduction est peu connu, et qui dit que « toute définition est une négation ». Car la définition, ici de l’identité, se fait dans le manque, la temporalité, et dans l’idée de devenir un autre : on est toujours dans le futur et dans l’avancement. Et c’est Mohammed Zernine l’enseignant qui parle ici lorsqu’il estime que cette théorie devrait être partagée avec les jeunes adultes et adolescents, qui sont en pleine construction identitaire. En citant un extrait d’Islam, la part de l’universelsur l’architecture comparée entre ville romaine et médina, Mohammed Zernine témoigne que la civilisation arabo-musulmane a appris des autres, assimilé et apporté aux autres civilisations en toute modestie et dans de nombreux domaines. « Si les jeunes du Maroc d’aujourd’hui avaient conscience et surtout connaissance de l’impact que la civilisation de l’Islam a eu et peut avoir, alors peut-être grâce à cette grande leçon de mysticisme et un nouvel ancrage dans l’histoire, ils pourraient (re)construire sincèrement et librement leur identité », estime-t-il. Changer le programme et le contenu des manuels scolaires est un processus malheureusement très long mais Mohammed Zernine assure que les enfants et adolescents ne pourraient que bénéficier de cette appropriation de leur histoire.

Clara Pero

26 avril 2019