Le Maroc ausculté par Abdellah Zaâzaâ
Abdellah Zaâzaâ, fondateur du réseau associatif Resaq : « Je rêve que sur cette portion de la terre nommée Maroc, on ne parle plus d’étrangers clandestins ou non. »
Les principaux obstacles, que nous rencontrons dans la vie associative (et ailleurs aussi), sont représentés d’abord par l’absence de démocratie et surtout l’absence de liberté d’expression. La répression qui cible aujourd’hui la presse, a une répercussion immédiate sur la mentalité des citoyens et citoyennes et ne les encourage pas du tout à adhérer à des initiatives, associatives entre autres.
L’État, qui continue à considérer que l’espace public est sa propriété alors que c’est une propriété communautaire, se permet à tout moment d’en interdire l’utilisation, ou encore de mobiliser, par exemple lors d’une manifestation de protestation, des forces sans commune mesure avec l’évènement, pour rappeler aux citoyens, qu’il y a le risque que ça se transforme en une émeute, et donc les incite à ne pas participer. Quelquefois, c’est vrai, le résultat attendu n’arrive pas. J’ai suivi de près les évènements de Sidi Ifni, y compris sur place. C’était magnifique de la part de la population et la présence des forces de l’ordre était presque ridicule. Comme une force d’occupation face à des jeunes et moins jeunes dont le souci était qu’aucune personne civile ou établissement ne soient touchés.
Tout cela pousse les citoyens à ne pas participer dans les partis, aux élections, et en tout cas très faiblement dans l’action associative. Il ne faut pas croire que les gens se désintéressent, mais c’est le passage à l’acte qui est bloqué. Les gens parlent de tout entre eux, chez soi comme au travail ou dans les cafés. Le salaire du roi, le Sahara n’y échappent pas… Mais peu ou pas d’associations osent ouvrir des débats publics à ces sujets, et peu de citoyens y viendraient.
À cela s’ajoute la vision du développement véhiculée et imposée par l’INDH (des projets prêt-à-porter qu’on fait endosser à des associations), et l’instrumentalisation d’une bonne partie des associations par les autorités publiques et les partis politiques qui considèrent les associations comme des concurrents ou essaient d’exploiter le capital symbolique de cadres associatifs. C’est peut-être une des faiblesses du mouvement associatif : lors des dernières élections, beaucoup d’associations ont fermé leurs portes pour s’investir dans la campagne électorale, alors que c’était le moment le plus favorable pour faire entendre les aspirations des populations de leurs quartiers.
Par rapport à mes rêves, je suis d’abord et avant tout universaliste (ça veut dire que je suis non-nationaliste). Ce n’est pas un pur choix intellectuel, c’est notre seule issue. Je rêve que sur cette portion de la terre nommée Maroc, on ne parle plus d’étrangers clandestins ou non, mais que cette terre soit une terre d’accueil. La politique de l’État marocain vis-à-vis des immigrés subsahariens me dégoûte. Parler de racisme quand la victime est un Marocain dans un autre pays, et pratiquer soi-même le racisme dans son propre pays à l’encontre d’autres!
Je rêve qu’un jour une constitution démocratique reconnaisse que le rôle des associations est la promotion du sens critique des citoyens.
Je rêve que les mouvements sociaux du pays mettent en échec la politique makhzénienne, car pousser les gens à intérioriser la peur, si elle retarde la démocratisation, ne fait qu’alimenter et renforcer les conditions de la lame de fond qui éclatera sous forme d’émeutes violentes de vastes couches de la société.
Je rêve qu’un jour on arrivera mettre fin au pillage des richesses par une équitable répartition des richesses.
C’est parfois désespérant, mais je continue et continuerai comme d’autres à croire qu’un Autre Monde Est Possible.
Témoignage publié dans le cadre d’un dossier « Le Maroc ausculté par la société civile », dans Le Journal hebdomadaire en juillet 2009