Traduire la Palestine avec Abdellatif Laâbi (III)
Depuis 1969, Abdellatif Laâbi n’a cessé de faire connaître les voix des poètes palestiniens en les traduisant en français. Relecture urgente en trois volets. Troisième volet : les recueils des plus jeunes.
Ashraf Fayad
Né en 1980 à Gaza, Ashraf Fayad revient de loin. Installé en Arabie Saoudite, il a été arrêté en 2014 et poursuivi pour « apostasie » et « encouragement de l’athéisme auprès des jeunes ». En fait, pour son recueil, التعليمات بالداخل , « Instructions, à l’intérieur », paru en 2007. Condamné à 4 ans de prison et 800 coups de fouet, il fait appel et est alors condamné à mort. Suite à une campagne internationale en sa faveur qui a rassemble 300 000 signatures, sa peine est commuée en 8 ans de prison et 800 coups de fouet. En 2019, Ashraf Fayad a reçu le prix de l’Association du Prix international du poète résistant. Il a enfin été libéré en août 2022. Abdellatif Laâbi a été un soutien constant du jeune poète.
Dès son arrestation, il a fait une sélection des textes du recueil et les a traduites. Instructions, à l’intérieur, est sorti chez Le Temps des cerises l’année de son procès en appel, en 2015. Extrait du poème « Égalité » :
« On dit que les gens
sont comme les dents du peigne
Mais ils ne sont pas ainsi
Quoi qu’il en soit
je vais me raser la tête
pour ne pas être obligé de faire
une telle comparaison »
En 2019, toujours en solidarité, Abdellatif Laâbi publie les poèmes de prison d’Ashraf Fayad sous le titre de Je vis des moments difficiles, en édition bilingue arabe-français, à la Maison de la poésie Rhône-Alpes. Un texte bouleversant sur la condition de prisonnier politique, qui s’interroge sur le sens de la vie et de l’humanité, quand la vie est insupportable et que la mort est le seul horizon. Le poète médite, sans déréliction mais avec distance : « Il se peut que la terre ne soit pas propice à la vie avant des années encore ». En préface, Abdellatif Laâbi qui a lui-même subi l’épreuve de la prison, rappelle que la poésie est une « école de courage » en ce qu’elle apprend à pratiquer « la vérité sur soi-même quoi qu’il nous en coûte, le refus des consensus, de quelque nature qu’ils soient, l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs constitués, le corps à corps avec la langue dans laquelle on s’exprime, la fidélité à la parole donnée dans ce que l’on écrit ».
Najwan Darwish
Enfin, tout récemment, en 2023, Abdellatif Laâbi a traduit au Castor Astral une sélection de poèmes de Najwan Darwish : Tu n’es pas un poète à Grenade. Le poète, né en 1978, est aussi journaliste et programmateur du Festival palestinien de littérature. Son œuvre cinglante et rugueuse en a fait une des voix majeures de sa génération et est traduite en une vingtaine de langues.
« Je n’ai pas de pays pour pouvoir y retourner
Je n’ai pas de pays pour en être exilé »
Najwan Darwish rêve la Palestine comme « une Andalousie de poésie et d’eau », dans le désespoir de la perte. Mais, relève Abdellatuf Laâbi : « Dans la question de l’être ou ne pas être, les vaincus ne sont pas les plus mal lotis. »
Et vous, vous lisez quoi ?
Kenza Sefrioui