Parcours de combattantes
La bande dessinée cosignée par Fedwa Misk et Aude Massot est un vibrant plaidoyer pour le droit des femmes à mettre un terme à une grossesse non désirée.
Elles sont innombrables, les femmes qui guettent l’annonce. Celle de la légalisation de l’avortement. En ouverture du livre, quatre planches, terriblement efficaces, résument le propos : illégal et clandestin, l’avortement est un risque majeur pour la vie des femmes. Et pourtant, les débats s’éternisent, avec toujours les mêmes arguments contre, révélateurs des bricolages éthiques de la société. Par contre, ce qui ne peut pas attendre, c’est l’acte qui délivre une femme d’une grossesse qu’elle n’a pas désiré, et qu’elle fera tout pour interrompre. Pour Lila, une jeune femme qui n’est pas mariée et n’est pas sûre du sens des responsabilités de son compagnon, et pour Malika, mère de cinq enfants avec un mari chômeur et une belle-mère grabataire, c’est la course contre la montre. Avec l’aide de Nisrine, l’amie de Lila et militante féministe, elles s’embarquent dans un palpitant road-trip à la recherche du médecin honnête et courageux qui leur permettra de sortir de leur cauchemar.
Une même revendication
Fedwa Misk, journaliste et écrivaine, campe le récit au moment des débats qui ont fait rage sur l’avortement au Maroc : les médias relayant la violence des discussions, le camp féministe remonté, les trahisons de la gauche caviar, les descentes de police chez les gynécologues… Par le choix de ses personnages, issues de différents milieux et d’âges différents, elle montre que toutes les femmes peuvent être un jour concernées. Quant à Aude Massot, la dessinatrice, elle a, avec sa palette lumineuse et nuancée, donné des couleurs à cette aventure de sororité. Car au final, ce plaidoyer est l’histoire d’une rencontre, par-delà les situations de classe, d’âge et d’opinion. Ce parcours, de Casablanca à Agadir, avec de nombreuses étapes, c’est la consolidation d’une seule et même revendication : le droit de faire ce choix pour soi-même. C’est un parcours du combattant, où il faut faire face d’abord à ses propres ambivalences et hésitations, et surtout à toutes sortes de mafias, du drogué qui refourgue des pilules abortives trafiquées aux maniaques des aiguilles à tricoter, sans parler du paranoïaque, de l’intégriste… Lila, Malika et Nisrine doivent faire face à la violence, au mépris, à la brutalité, à l’hypocrisie doivent surmonter la peur, mais aussi faire face à un entourage trop rarement compréhensif – c’est le moins qu’on puisse dire. Si ce brûlant débat de société n’a finalement abouti à « classer le dossier pour quelques années et à dilapider un budget colossal dans la polémique, au lieu de l’injecter dans la solution », Malika résume bien dans son poème ce qui y est en jeu, et qui le demeure encore :
« Si tu ne peux pas pardonner à ceux qui prennent un autre chemin,
Alors ta prison est bien plus exigüe qu’une geôle de béton ».
Un débat toujours d’actualité, comme cette belle bande dessinée vient nous le rappeler.
Et vous, vous lisez quoi ?
Kenza Sefrioui
Des femmes guettant l’annonce
Fedwa Misk et Aude Massot
Sarbacane, 156 p., 188 DH