La couleur du coeur
Fabienne Jonca est au Maroc ces deux prochaines semaines pour présenter son premier roman, très remarqué, sur le scandale des enfants métis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Est-ce vraiment la première fois que Sam traverse l’Atlantique lors qu’il embarque avec sa mère Rosa pour la France dans les années 1950 pour rejoindre Charly, son père trompettiste ? Le jeune couple a fui la ségrégation pour s’installer à Paris où lui joue dans les clubs de jazz de Saint-Germain-des-Prés, espérant un avenir autre que celui de citoyen de seconde zone pour leurs enfants. Pour les adultes, c’est une vie dure, confrontée à un racisme non moins réel, à la vie précaire, dans une chambre minuscule. C’est aussi la solidarité avec les voisins portugais, avec les artistes de passage. Pour l’enfant, c’est l’école, la découverte de la poésie et des arts, les amis inséparables, mais aussi les interrogations : pourquoi la langue allemande lui semble-t-elle si familière ? pourquoi sa sœur Dorothy n’a pas la même couleur de peau que lui ?
« Tremblement de taire »
Le premier roman de la documentariste et autrice jeunesse Fabienne Jonca avance au rythme du jazz – les chapitres portent le nom de célèbres standards et invitent à une lecture en musique. De la chanson ou des musiques de film aussi. Rythme plein de mélancolie et de joies, d’inquiétudes et d’improvisations, rendant les mouvements d’un cœur qui hésite, et qui culmine sur un très beau projet, celui de l’artiste français Christian Boltanski, Les archives du cœur. Brown Baby raconte une trajectoire intime, celle d’un enfant qui grandit et cherche ses enracinements dans des mondes (géographiques, sociaux, intellectuels) toujours nouveaux.
C’est aussi une histoire qui rejoint la grande histoire, car Fabienne Jonca s’inspire d’un fait réel, qui a été documenté par la journaliste afro-américaine Mabel Grammer (1915-2002) : le rejet par la société allemande des enfants nés de femmes allemandes et de G.I noirs, environ 7 000 « Brown Babies ». Les pères étaient mutés en Corée ou au Japon ; les mères étaient mises au ban de la société et, privées d’emploi et de soutien matériel, contraintes d’abandonner leurs bébés. Quant aux enfants, ils étaient envoyés à l’orphelinat. Mabel Grammer avait organisé le Brown Baby Plan pour inciter les familles afro-américaines à les adopter.
Brown Baby n’est pas seulement un livre sur une recherche personnelle : c’est l’évocation d’une vie que le racisme a brisée et dont il s’agit de reconstituer les morceaux. C’est un livre sur les failles creusées par la violence des autres, failles qui suscitent des silences, des souffrances, mais aussi qui ouvrent la voie au doute, aux questionnements, aux quêtes. À la construction d’autres voies, où l’art est central. Le roman est dans la présélection du prix Senghor du premier roman et du prix Maryse Condé, et il a reçu le prix Vanille et le prix Seligmann contre le racisme 2024, attribué par la Chancellerie des Universités de Paris Sorbonne.
Fabienne Jonca présente Brown Baby à la librairie Livremoi, à Casablanca jeudi 9 janvier à 19h et à Rabat vendredi 10 janvier à 18h30.
Et vous, vous lisez quoi ?
Kenza Sefrioui
Brown Baby
Fabienne Jonca
L’Atelier des nomades, 264 p., prix spécial Maroc 150 DH