La poésie après Gaza
Au désespoir, Karim Kattan oppose dans son premier recueil de poèmes la luxuriance et la force vitale des jardins de toute la littérature.
Après trois romans où la nature et les paysages de Palestine avaient déjà une place centrale, Préliminaires pour un verger futur (Elyzad, 2017), Le Palais des deux collines (Elyzad, 2021) et L’Eden à l’aube (Elyzad, 2024), Karim Kattan s’émancipe du genre narratif et nous offre un recueil de poèmes, présenté comme « une espèce de pèlerinage par jardins ». Le livre s’inspire du « jardin enclos » (Hortus conclusus) non loin de la maison familiale à Bethléem, dans le couvent d’Artas, et qui tire son nom du Cantique des cantiques. Un lieu de promenade désormais perdu à cause des colons et des soldats israéliens. « La violence de la colonie fait, entre mille, deux choses : elle produit de l’unicité là où il y a une multiplicité. Et elle génère chez nous l’aridité là où elle n’était pas, et chez eux, la luxuriance. » Comment écrire de la poésie après Gaza ? Pour l’écrivain palestinien, le jardin est pris dans sa « force vitale », non pas décorative, mais structurante, garante du multiple irréductible. Karim Kattan invite à retrouver la vallée des roses sauvages, entre Battir et Maliha, devenus aujourd’hui un centre commercial à Jérusalem. « Si alors ce livre parle de notre moment, c’est qu’il est peut-être la tentative d’imaginer cet itinéraire. Par l’entremise du monde entier, d’une sarha planétaire, retrouver la promenade qui menait du jardin enclos à la vallée des roses. »
Sarha dans les jardins du monde
La poésie a toujours imprégné la phrase, le récit de Karim Kattan. Elle s’invitait plus nettement à la fin de L’Éden à l’aube. Ce recueil nous emmène de Ras al-Bustan à la Porte d’Ishtar à Babylone, avec ses « jardins, lourds, verts, / suspendus », à Knossos en Crète dans le Labyrinthe du Minotaure parfumé de sauge, de menthe et d’origan. Il nous emmène à Kyoto dans la clarté des montagnes, puis dans la campagne anglaise, puis dans le désert de Paran, ou encore à Dodone. Les poèmes sont peuplés d’océans, d’oiseaux fabuleux, de sycomores et autres plantes qui disent la mémoire et la sagesse. On y croise Pasiphaé, Ganymède, les dieux grecs, Lancelot, Camelot, des sorcières et autres sinistres personnages. Le jardin, c’est le lieu de la vie dans toute sa complexité, le lieu de l’amour, le lieu des violences, le lieu des mythes mais surtout du réel.
« Je m’étais promis de ne jamais
jamais
jamais
écrire un poème
au sujet d’un checkpoint
promis de ne
jamais
jamais
capituler ainsi
à leur oppressive géographie »
Mais le poète a besoin de témoigner de l’humiliation, des coups de botte « vegan ». Le jardin, c’est la résistance à l’occupation, et aux conversations qui les banalisent :
« Qu’est-ce qu’un jardin sans un citronnier ? c’est peut-être – Laisse-moi te dire, de quels jardins, quels citronniers… Je viens d’un pays où –
ça y est, tu vois, j’ai mal commencé, tu m’as coincé avec ta question, tes citronniers, alors j’esquive, je viens d’un pays blablabla,
Je viens d’un pays rien du tout, mais –
mais il y a parfois, dans mon pays, où ce qui était mon pays, ce qui ne le sera jamais plus (ce n’est pas grave, ne t’en fais pas) »
L’absence, la destruction, elles sont aussi dans ce recueil, comme la trace indélébile. Un merveilleux recueil où chaque poème éclot dans une rythmique propre, se déploie en toute liberté.
Et vous, vous lisez quoi ?
Kenza Sefrioui
Hortus conclusus
Karim Kattan
Éditions l’extrême contemporain, 170 p., 210 DH