Édition,
investigation
et débat d'idées

En connaissance de cause

Roman-décryptage, le dernier livre de Zakya Daoud ausculte la société marocaine d’aujourd’hui. Lucide et nécessaire.

« On lui avait dit : “Va au Maroc, le ciel toujours bleu, le vent dans les branches des palmiers, les murs roses, les ryads somptueux, les hautes cimes de l’Atlas et leurs neiges éternelles, un paradis…” ». On lui avait aussi parlé des Marocains qui « sont vraiment très agréables… » Bref, Candida s’était décidée. Suisso-franco-marocaine, « donc de partout et de nulle part », devant son prénom à l’admiration de sa mère pour Voltaire, aimant rouler sa bosse et s’intéressant à tout, elle décide de s’installer à Marrakech. Où tout est matière à interrogation et à réflexion. S’ensuit un roman d’apprentissage à travers lequel se construit une agora sur la situation du Maroc.

Distance critique

Zakya Daoud

Zakya Daoud pimente ses chapitres d’exergues significatives : aux « Premiers regards » correspond « Comprendre n’est pas juger » de Marc Bloch ; « MeToo au Maroc et la sphère familiale : famille ou patriarcat ? » est complété par « Ce n’est pas ma faute si, en écrivant, ma plume se transforme en scalpel » d’Henri Calet… Car la dimension romanesque de ce livre s’estompe derrière l’envie, la nécessité de débattre. La découverte de son propre pays par Candida, forte de ses autres expériences glanées ici et là, est l’occasion de nombreuses discussions avec son groupe d’amis, galeriste, homme d’affaire, femme au foyer, pharmacien, artiste, professeur, avec Tarik l’homme qui fait les travaux chez elle, avec Ahmed le sage jardinier. L’éducation, les petites bonnes, le rapport à l’administration, la politique, l’argent, la corruption, les non-dits, la culture de consommation… le quotidien fourmille d’occasions de s’interroger, de fulminer, de s’émerveiller, de rire… Renvoyée systématiquement à son « altérité radicale », Candida ne renonce pas, insiste. Les généralités qu’elle formule donnent l’occasion à ses amis d’y aller de leur exposé. Si le terme de schizophrénie revient tout au long du livre, c’est pour mieux faire sentir la complexité des enjeux.

Zakya Daoud nous propose un livre vivant, plein d’anecdotes et de portraits. Elle restitue avec justesse le combat quotidien d’une femme en quête de sens, qui ramène les faits à sa grille d’analyse tout en se rendant compte des limites de celle-ci et à qui on ne cesse de répondre « il faut que tu comprennes… », « n’oublie pas… » Au passage, toutes les grandes problématiques contemporaines sont abordées : la fuite des cerveaux, le rapport à l’étranger, les inégalités qui augmentent et les solidarités qui s’érodent, les silences des intellectuels sur certains sujets… Le roman se fait réquisitoire chez tous, notamment chez Ahmed : « Au-delà d’une certaine limite, l’inégalité, les conditions économiques et sociales rendent illusoire la liberté de l’ensemble de la société ».

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

Candida ou jours paisibles à Marrakech
Zakya Daoud
Éditions du Sirocco, 288 p., 130 DH

16 mai 2025