African Books Collective : le POD au service de la distribution
Justin Cox présente l’African Books Collective, collectif d’éditeurs africains, qu’En toutes lettres vient de rejoindre, et qui vise à promouvoir l’édition du continent dans le monde.
Il est interviewé par Matthieu Joulin, membre de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants très impliquée dans les questions liées à la bibliodiversité (la diversité culturelle appliquée au monde du livre).
En voici la traduction en français par Martin Gautier.
Pouvez-vous nous dire en quelques mots ce qu’est l’African Books Collective(ABC) et pourquoi a-t-il été créé ?
L’African Books Collective (ABC) est un centre de marketing et de distribution mondial pour les livres africains – ouvrages savants, littéraires et pour enfants –, à but non lucratif. Il a été créé, géré et dirigé par un groupe d’éditeurs africains qui se sont réunis en 1985 pour faire face aux contraintes qu’ils rencontraient en matière de financement, de marketing et dans la distribution de leurs livres. Ces contraintes avaient alors pour conséquence une pénurie de livres édités en Afrique dans les pays du Nord.
ABC se veut une initiative collective d’entraide et d’auto assistance destinée à renforcer les bases économiques des éditeurs africains indépendants et visant à répondre aux demandes des bibliothèques et autres acheteurs occidentaux. Avec le soutien initial d’agences de financement, ABC s’est lancé dans le commerce en 1989. Les membres d’ABC sont, sur le continent, plus de 150 éditeurs africains autonomes et indépendants. Ils partagent une philosophie commune consistant à publier depuis l’intérieur des cultures africaines, affirmant ainsi la voix de l’Afrique au sein de l’Afrique et au niveau international. Ce sont non seulement des éditeurs scolaires et de littérature, mais également des éditeurs de livres pour enfants, des instituts de recherche, des presses universitaires, des presses commerciales – grandes et petites –, des ONG et des associations d’écrivains.
Comment le modèle économique d’ABC fonctionne-t-il ?
ABC fonctionne comme n’importe quel autre distributeur commercial, mais avec une opération de marketing peut-être plus grande et plus spécialisée. Des éditeurs africains nous envoient les livres qu’ils souhaitent distribuer à l’international. ABC ne facture aucun frais aux éditeurs. Nous devons simplement être sûrs de pouvoir trouver un public international aux titres que nous proposons. L’éditeur a simplement à nous envoyer par courrier électronique les fichiers des livres produits en impression à la demande, ou des stocks, pour les titres qui ne peuvent pas être produits. Nous ajoutons ensuite ces titres à nos réseaux de distribution et commençons à les commercialiser via nos sites Web et nos réseaux sociaux, les présentons dans nos catalogues, nos listes de diffusion internes et externes ainsi que dans les foires et conférences auxquelles nous participons.
Les éditeurs sont payés tous les trimestres et nous récupérons l’argent pour toutes les impressions que nous avons effectuées à ce moment-là, ainsi que notre pourcentage. Cela signifie que les éditeurs n’ont pas à nous payer d’avance, ni à nous envoyer d’argent. Notre modèle commercial et la manière dont nous travaillons avec nos éditeurs sont conçus spécifiquement pour permettre aux éditeurs africains d’atteindre les marchés internationaux rapidement et sans trop de friction. « Envoyer un livre par mail, recevoir de l’argent », voici comment cela fonctionne du point de vue de l’éditeur. Les éditeurs indépendants sont des personnes occupées et en rendant nos processus aussi simples que possible, nous espérons que notre modèle leur permettra de se concentrer sur des tâches plus importantes, telles que le marketing et la création d’un public pour leurs contenus.
Vous choisissez de distribuer les livres principalement par le système d’impression à la demande (POD). Pourquoi avez-vous fait ce choix ? Est-il possible d’acheter des livres partout avec le système POD ?
La production de livres en impression à la demande est plus rapide, moins chère et nécessite un investissement initial moins important que la technologie d’impression traditionnelle. Plus important encore, elle évite les coûts de stockage et de transport. Au début des années 2000, Victor Nwankwo, éditeur nigérien de Fourth Dimension Publishers (FDP), a lancé avec ABC un projet pilote visant à numériser le catalogue de fond de FDP et à rendre les livres disponibles en impression à la demande. ABC a organisé un atelier qui a eu du succès sur le POD à l’intention des éditeurs africains à Oxford en 2003, et petit à petit d’autres éditeurs africains se sont impliqués, même si beaucoup ont continué à envoyer des stocks d’imprimés.
Victor Nwankwo pensait que le financement des donateurs pour le collectif cesserait au bout d’un moment et qu’ABC devrait pouvoir se prendre en charge. Lorsque le financement des donateurs a effectivement cessé en 2006, il n’était pas viable pour ABC de continuer à opérer via des entrepôts, de sorte que c’est le POD qui nous a en quelque sorte choisis. Fortuitement, à ce moment-là, des sociétés comme Amazon commençaient tout juste à se lancer dans la création de sa « longue traîne » et commençait à proposer les livres les plus spécialisés que les magasins n’étaient pas intéressés à stocker.
Ce modèle convenait bien à ABC. En plus des bibliothèques, les particuliers pouvaient désormais accéder plus facilement aux livres publiés en Afrique. Sur le plan des ressources, ABC pouvait se concentrer sur la recherche d’endroits où rendre les livres disponibles et sur le marketing plutôt que sur la gestion des stocks et des envois. Les livres numériques ont bientôt suivi. Tous les livres ne sont pas adaptés au POD, c’est pourquoi ABC continue également à exploiter un petit entrepôt afin de répondre à toutes les demandes des éditeurs que nous représentons.
L’intérêt premier du POD pour ABC, c’est qu’il n’est tout simplement pas viable de gérer l’organisation sans cette formule. Les marges dégagées sur les livres sont particulièrement minces, donc tout ce que les éditeurs peuvent faire pour réduire leurs coûts d’exploitation peut rapidement faire une énorme différence. Avec le POD, ABC a réduit le coût du stockage, les éditeurs ont économisé les frais de transport et ABC les frais de dédouanement internationaux payés à la réception des livres, puis lors de leur envoi aux clients partout dans le monde. Avant le POD, si les stocks d’un livre venaient à être épuisés, les clients ne souhaitaient souvent pas attendre un temps indéterminé que de nouveaux exemplaires arrivent de chez l’éditeur. Avec le POD, les livres ne sont jamais en rupture de stock, ce qui donne de la confiance aux revendeurs lors de la recherche de nouveaux partenaires. Au début, la qualité de production des POD était meilleure que celle des livres que nous recevions des éditeurs, mais ces derniers temps, les éditeurs africains se sont considérablement améliorés dans ce domaine.
Le principal avantage du POD est davantage lié à la deuxième partie de votre question, concernant les endroits où les clients peuvent acheter les livres. Lorsque Victor Nwankwo et ABC ont commencé à utiliser le POD, nous avons envisagé les avantages principalement en termes d’impression, c’est-à-dire qu’il était plus avantageux économiquement de publier des titres très spécialisés du fait que les aspects économiques de l’impression offset ou même à court tirage numérique ne s’appliquaient pas. Cependant, les éditeurs disposent aujourd’hui de toutes sortes d’options d’impression et les véritables avantages du POD sont davantage liés à la distribution. Nous avons un partenaire majeur dans ce domaine, mais également plusieurs autres qui s’étendent sur différents marchés et dans différents de pays. Le fichier qu’un éditeur d’un pays africain envoie par courrier électronique à ABC est utilisé pour atteindre différents marchés dans un nombre croissant de pays, sans avoir à traverser les frontières. Bien entendu, les clients en bénéficient également, car ils n’ont pas à payer pour que les livres soient expédiés de l’étranger, ce qui aide à rendre les contenus d’éditeurs africains plusmainstream.
Avez-vous également une offre de livres électroniques ? Que pensez-vous du potentiel des livres électroniques pour les contenus africains ?
Oui, les ebooks ou contenus numériques constituent désormais une partie importante de nos activités. Les changements dans le flux de travail d’ABC, rendus nécessaires par le POD, ont été rapidement adaptés pour rendre le contenu publié en Afrique encore plus largement accessible aux publics mondiaux via un réseau encore plus vaste de fournisseurs de livres numériques. La majeure partie des ventes dans ce domaine est destinée aux fournisseurs qui se spécialisent dans la réponse aux abonnements des bibliothèques, sous forme de collections et / ou de ventes ponctuelles. Je crois que le premier fournisseur avec lequel nous avons commencé dans ce domaine était Ebrary en 2010. Depuis, nous avons attiré plus de 100 partenaires dans ce domaine et, grâce à ce travail, les livres publiés en Afrique sont devenus des produits courants sur les marchés extérieurs à l’Afrique : ils ne sont plus des « produits exotiques » stockés sur des étagères de bibliothèques et sont aussi facilement disponibles que n’importe quel livre publié ailleurs.
Les livres numériques augmentent la probabilité qu’à un titre d’être découvert. Et bien que les lecteurs avec lesquels nous discutons préfèrent en grande majorité les livres imprimés, ils ont très probablement découvert le livre numériquement d’abord, peut-être en recherchant le titre en particulier, ou en recherchant un élément lié au contenu de ce dernier. Cela a considérablement élargi le marché de ces livres.
Quels sont les principaux défis pour ABC à l’avenir?
Je pense que notre principal défi est similaire à celui des autres distributeurs et éditeurs : à savoir le marketing. Il y a beaucoup de concurrence sur le marché du livre, et entre les nombreux autres produits pouvant être consommés numériquement. Le défi pour le monde du livre est de continuer à améliorer la visibilité des contenus que nous vendons. Pour ABC en particulier, je pense que notre travail peut être facilité si les éditeurs se tournent également vers les marchés internationaux et nous aident à créer des marchés dans le monde entier pour leurs livres.