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Algue rouge contre pauvreté et pollution

Bachir Bouaroune (en combinaison rouge) place les boutures sur des filets avec d’autres pêcheurs. Crédit photo : AND

Fourche à la main, trônant sur un tas de fils dorés entreposés ici et là sur la rive de la lagune de Marchica, Mimoune Bouhssine, pêcheur, fils de pêcheur et petit-fils de pêcheur, ne se voyait pas devenir un jour agriculteur des mers mais « le climat a changé et nous avons dû changer nous aussi… » dit-il mi-fier, mi-résigné. Depuis 2013, Mimoune Bouhssine dirige une coopérative de production d’algues rouges dans la commune rurale de Bouareg près de Nador. Au début de l’hiver, quand la température de l’eau se situe entre 15 et 17 degrés, des boutures sont placées dans des gaines de filets. Elles vont flotter à la surface de l’eau pour profiter des rayons de soleil, la fameuse photosynthèse. 40 jours plus tard, l’on cultive des touffes rougeâtres et denses de 20 centimètres. C’est la variété Gracilaria. Ces algues sont séchées puis pressées et emballées pour être vendues à la seule usine de transformation située à Kénitra.

La coopérative compte une douzaine de membres permanents et fait appel à une trentaine de travailleurs saisonniers, tous des pêcheurs cherchant à mieux gagner leur vie. Car les revenus de la pêche ont considérablement baissé ces dernières années. En cause, la pollution de la Méditerranée, la surpêche et le réchauffement des eaux. Depuis le début de l’aventure, Bachir Bouaroune n’a jamais rangé ses filets de pêche. « Je suis un marin, j’ai ma propre barque. À l’aube, je vais attraper quelques poissons pour les vendre et je suis ici dès 8 heures du matin pour cultiver les algues rouges. Parfois j’y reste jusqu’à 17 heures passées. L’argent des algues me permet de mieux faire vivre mes 4 enfants. » En 2019, la coopérative a produit 57 tonnes d’algues rouges. Cela représente un revenu de 2 500 à 3 000 dirhams mensuels pour les membres de la coopérative.

Cette ferme pilote, la première au Maroc, démarrée sur un hectare et demi il y a 8 ans, exploite aujourd’hui onze hectares en mer. Le projet a bénéficié du soutien financier de la Banque mondiale et de l’appui technique de l’Agence nationale de développement de l’aquaculture (ANDA). « Notre mission en tant qu’agence est d’accompagner ces pêcheurs sur les aspects techniques, juridiques, administratifs et promotionnels mais nous n’intervenons pas dans leurs contrats commerciaux ni dans leurs choix de partenaires. De même, les membres de la coopérative adoptent leurs propres pratiques en vue d’un meilleur rendement », explique Hicham Ouazzani, responsable de l’appui technique au sein de l’ANDA pour qui la ferme n’est plus un projet pilote mais un projet d’investissement, puisqu’elle est, à présent, rentable.

Les piquets plantés en mer tiennent les gaines dans lesquelles poussent les algues. Crédit photo : AND

Ce qui a été imaginé au début comme une solution économique pour les pêcheurs est devenu aussi une solution écologique à la pollution de la lagune. L’algue rouge, la nouvelle occupante des lieux, absorbe les métaux pollueurs permettant le retour des poissons et des oiseaux. Pour Abderrahim Khellaki, chercheur en algues et membre de l’Association des enseignants des sciences de la vie et de la terre (AESVT), c’est un écosystème. « De nombreux canards sont visibles ici. Avant l’installation de la ferme, ils ne faisaient que survoler cet endroit. Aujourd’hui, ils y établissent leur nid », constate-t-il.

Mais ce coup d’essai fait face à la concurrence des pays asiatiques qui totalisent 96 % de la production mondiale d’algues. Sans la valorisation et la transformation de ces algues, l’activité a du mal à se développer et peine à attirer les jeunes marins. Mimoune Bouhssine cherche un meilleur prix pour son produit. « Nous vendons nos algues séchées à 5 dirhams le kilo, c’est très peu. Si les pêcheurs d’ici gagnent mieux leur vie grâce aux algues, ils arrêteront peut-être la pêche  et viendront travailler dans cette ferme. »

À défaut d’attirer les plus jeunes, l’algoculture semble séduire les vétérans parmi les pêcheurs. Dans quelques mois, la coopérative de Bouarg ne sera plus la seule à cultiver l’algue rouge au Maroc : 58 nouvelles fermes seront aménagées dans cinq régions du royaume. Cela représente à peu près 800 emplois. À terme, 90  000 tonnes d’algues rouges sont produites chaque année.


Ce reportage a été diffusé sur les ondes de la Radio Chaîne Inter, dans le cadre de l’initiative MediaLab Environnement, un projet du CFI financé par le Ministère français des Affaires étrangères.

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Sofia Fagroud

Sofia Fagroud est journaliste présentatrice et reporter à la radio Chaîne Inter de la SNRT où elle travaille depuis 2009 après un passage par la télévision. Elle a obtenu le Grand Prix de la Presse Nationale en 2018 pour son grand reportage « Les Petits Voisins du Soleil » sur la scolarisation des enfants dans la commune rurale de Guessat près de Ouarzazate. Sofia Fagroud est titulaire d’une licence en journalisme de l’Institut supérieur de l’information et de la communication (2007) et d’un Master en Communication de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Rabat (2019).

 

4 mars 2021