Algues rouges: alerte aux envahisseurs
Les algues rouges s’installent dans le nord du Maroc.
Jamais les pêcheurs de Mdiq, à 13 km de Tétouan dans le nord du Maroc, n’avaient imaginé qu’un envahisseur pouvait mesurer 10 cm et ressembler à des feuilles de thé. Mais « la mer est toujours pleine de surprises », nous dit, résigné, Abdellah Imrane tout en nettoyant ses filets de pêche d’une algue à la couleur brune. Cela fait quatre ans que cette algue alourdit ses filets qui finissent par sombrer au fond de l’eau, empêchant les poissons de s’y accrocher. « 35 ans que je pêche ici, que je me baigne ici, je ne l’avais jamais vue, elle n’est pas d’ici, cette intruse ».
Originaire du Japon, l’algue brune ou la Rugulopterix okamurae est une espèce envahissante qui se développe très rapidement. Youness Baghdidi, président de l’Association Champions Fnideq de plongée sous-marine et de protection de l’environnement, se souvient de l’avoir observée pour la première fois en 2017. Elle était alors localisée à certains endroits. « Lors de mes plongées, je constate à chaque fois que l’algue se propage très rapidement et que, là où elle se développe, les poissons se font plus rares », nous explique-t-il.
La vitesse de son développement et ses conséquences inquiètent les autorités, poussant l’Institut national de la recherche halieutique à entamer des explorations sous-marines en 2019. Pour l’instant, il n’y a toujours pas de cartographie précise de la présence de l’algue brune sur les côtes marocaines mais, d’après les observations, l’algue a envahi l’habitat naturel de certaines espèces. « Dans la région de Jebha, l’algue a pris la place des habitats des anémones de mer », nous assure Mohammed Idrissi Malouli, directeur de l’INRH Tanger.
De fragiles écosystèmes marins sont donc menacés par cette espèce invasive que rien ne semble arrêter. Même sa texture empêche les poissons de la consommer, rendant sa prolifération encore plus rapide. Pour Nadia Berdei, chef du département halieutique et aquaculture à l’Institut agronomique et vétérinaire de Rabat, l’expansion de l’algue brune est favorisée par des conditions de reproduction favorables en Méditerranée. « Nous avons constaté que le pic de prolifération de la Rugulopterix okamurae en 2015 a coïncidé avec un pic de température de la surface de la mer au niveau de la Méditerranée ».
Comment une algue du Japon a-t-elle pu arriver jusqu’en Méditerranée ? La théorie la plus plausible selon les scientifiques, c’est que l’algue brune, comme beaucoup d’espèces invasives, a voyagé dans les eaux de ballast, ces réservoirs destinées à stabiliser les navires. Abdelhak Naguib, capitaine au long cours nous explique que « lors du ballastage d’un navire, de grandes quantités d’eau de mer sont pompées et de nombreuses espèces marines sont embarquées involontairement à l’intérieur du navire. Les quelques spécimens qui survivent pendant le voyage vont être rejetés en mer dans un autre port et donc un autre écosystème ».
Pour empêcher la prolifération des espèces aquatiques envahissantes dans les eaux de ballast des navires, les pays membres de l’Organisation maritime internationale ont adopté en 2004 la convention internationale pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et sédiments des navires, communément appelée la convention BWM. Le texte est entré en vigueur en 2017 et sa mise en œuvre se fait graduellement jusqu’en 2024. « Dans un an, tous les navires doivent être équipés d’un système de traitement des eaux de ballast, soit par traitement chimique ou ultraviolet. Le but étant d’éliminer les espèces invasives qui peuvent vivre dans ces eaux de ballast », nous dit Abderazzak Atide, chef de service de la sécurité maritime à la direction de la marine marchande.
Pour mieux gérer les échouages d’algues brunes sur les plages méditerranéennes, des universités travaillent actuellement sur la valorisation de l’espèce. Les résultats sont très prometteurs pour la médecine et l’industrie cosmétique. Mais à Martil, les femmes de la coopérative de pêche artisanale Moquida réfléchissent à un usage de l’algue dans l’agriculture en tant que fertilisant. Khadija Habyby, la présidente de la coopérative en est convainque « Tout ce qui sort de la mer est bon pour la terre » lance-t-elle.
Sofia Fagroud
Pour aller plus loin, écouter le reportage sonore réalisé par Sofia Fagroud.
Cette histoire a été produite avec le soutien du Earth Journalism Network d’Internews dans le cadre de la Mediterranean Media Initiative.
Sofia Fagroud est journaliste présentatrice et reporter à la radio Chaîne Inter de la SNRT où elle travaille depuis 2009 après un passage par la télévision. Elle a obtenu le Grand Prix de la Presse Nationale en 2018 pour son grand reportage « Les Petits Voisins du Soleil » sur la scolarisation des enfants dans la commune rurale de Guessat près de Ouarzazate. Sofia Fagroud est titulaire d’une licence en journalisme de l’Institut supérieur de l’information et de la communication (2007) et d’un Master en Communication de la Faculté des Lettres. Elle a obtenu le premier prix du concours international organisé par l’Agence française de développement médias Canal France international (CFI) dans la catégorie Emploi, jeunesse et environnement pour son reportage intitulé Algues rouges contre pauvreté et pollution, diffusé sur les ondes de la Radio SNRT Chaîne Inter et sur En Toutes Lettres.