Conférence : Extrémisme religieux, plongée dans les milieux radicaux au Maroc
Le jeudi 21 mars dernier à Casablanca, le Centre Mohamed Hassan Ouazzani (CMHO) accueillait la conférence sur Extrémisme religieux, plongée dans les milieux radicaux au Maroc (2017), animée par ses auteurs Hicham Houdaïfa et Mohammed Samouni pour la version en arabe.
Hicham Houdaïfa a rappelé que « le sujet du livre exige, par son importance et sa pertinence dans le contexte d’aujourd’hui, une écriture doublée en français et en arabe. » Car une traduction aurait été insuffisante : il s’agissait d’avoir un autre regard sur les histoires dont les journalistes ont été témoins. Ce sont donc deux livres qui étaient discutés ici : un même sujet pour deux sensibilités d’écriture différentes. Plusieurs raisons ont poussé les deux journalistes à s’intéresser au sujet : en 2014, le Maroc a vu ses jeunes de quartiers défavorisés partir en masse vers la Syrie, l’Iraq, etc., et les médias ne couvraient pas cette soudaine affluence. Il fallait aller sur le terrain, parler aux familles et à ceux qui été revenus pour obtenir des preuves tangibles et dévoiler la situation au grand public.
Au cours de leur enquête, Hicham Houdaïfa et Mohamed Samouni ont pu compter sur l’aide de plusieurs associations de quartier et en particulier celle de Bir Chifa. C’est grâce à ces acteurs de la société civile que les journalistes d’investigation peuvent espérer faire leur travail : ils connaissent le terrain, aiguillent les professionnels, soutiennent des projets qui peinent à se faire financer ou même être approuvés.
Parce que ce projet n’a pas été si facile : on pose des questions qui fâchent, on aborde des sujets tabous et on met en lumière des failles dans ce système qui tire ses jeunes vers le bas. À Bir Chifa, un quartier récent de Tanger, les aspirations de réussite qu’avaient ses habitants arrivés dans les années 2000 se sont effacées. Dans cette sorte de « ghetto » nous dit Hicham Houdaïfa, les jeunes n’ont pour avenir que deux issues bien malheureuses : la délinquance ou le djihadisme, et la frontière entre les deux est poreuse. L’espace est propice pour que les jeunes tombent dans la criminalité. D’abord, une absence policière, à l’exception d’interventions exceptionnelles lourdement armées, en provenance directe de Madrid. Puis, un sentiment d’abandon, de marginalisation de la population qui s’est progressivement construit. Mais aussi un centre culturel qui « vivote » et qui a donc peu à offrir à ces jeunes, mais surtout un système scolaire défaillant. L’ennui, le manque de soutien moral et l’absence d’éducation, ou ces « ingrédients » de la délinquance les rendent vulnérables aux publicités bien montées sur le net. Ces jeunes n’ont pas les armes pour se poser les bonnes questions, alors ils ne se les posent pas et ils partent sans savoir qu’ils courent à leur perte.
Les personnes venues assister se mettent d’accord avec les intervenants : les situations précaires et la pauvreté dans lesquelles vivent ces jeunes facilitent cette radicalisation religieuse. Mais le réel problème aux yeux de tous reste l’éducation, ou plutôt le manque de celle-ci. « Avant, le pays était cinquante fois plus pauvre, rappelle un intervenant, et pourtant tout le monde allait à l’école. » Alors si on a « loupé quelque chose », il faudrait savoir quoi exactement, car les conséquences sont désastreuses. Les auteurs répondent et rectifient les propos précédemment tenus en disant qu’il ne s’agit pas d’uneraison qui explique la radicalisation « mais plutôt d’une conjugaison d’éléments déclencheurs. »
D’autres questions surviennent dans le public : comment combattre la promotion du wahhabisme à la fac de Casablanca ? Et qu’en est-il du manque de respect pour le corps enseignant ? Les écoles sont dans un état de délabrement systématique, on assiste à une absence de discipline et de morale. À l’école comme dans les quartiers, il n’y a que très peu de symbole de l’État ou d’autorité gouvernementale. Les jeunes ont besoin d’un modèle à suivre. Et si l’on sait que le chef d’État est contre la radicalisation, rien n’est fait pour la combattre et les victimes de cette contradiction sont toujours les mêmes. Et si le mal est fait maintenant, il faut faire un travail sur des valeurs concrètes comme la mixité sociale et les libertés individuelles. Il faut également assurer une restitution de ces valeurs, ce qui est impossible encore une fois sans volonté politique. Ce n’est pas la faute d’un parti politique mais celle d’un système tout entier, bien ancré.
Extrémisme religieux a su mettre en lumière les problématiques évoquées. Et malgré une nécessité d’approfondir et multiplier les études de terrain, en abordant les questions de financement de la radicalisation et l’effort de démantèlement des réseaux, le débat est suscité. Les auteurs espèrent pouvoir continuer leurs recherches pour pallier à ces problèmes et assurer la production d’une pluralité de récits. « Le journalisme est un genre littéraire » et si le « slow journalism »est une démarche plus longue que l’instantané, le résultat est d’autant plus pertinent dans le temps. Il faut traiter l’information immédiatement mais dans les détails et la restitution est plus complète, même si tardive. Comme on l’a vu à cette conférence au CMHO : acteurs de la société civile, journalistes, professeurs, étudiants et citoyens concernés œuvrent ensemble pour sensibiliser la population à l’extrémisme religieux et la radicalisation au Maroc. Des solutions naîtront de ces débats animés : cette conférence a prouvé qu’il n’est jamais trop tard pour agir.
Clara Pero
La vidéo de la conférence, mise en ligne par le Centre Mohamed Hassan Ouazzani, est disponible ici.