Des artistes dans le monde
Dans une étude très détaillée, l’historienne d’art américaine Holiday Powers retrace l’histoire ouverte du modernisme marocain qui a culminé avec l’École des Beaux-Arts de Casablanca.
« Dans le Maroc postcolonial, le modernisme renvoie aux manières dont les artistes ont joué un rôle actif dans la décolonisation de la culture en s’engageant dans le projet politique de la modernité », explique Holiday Powers, professeure assistante d’histoire de l’Art à Virginia Commonwealth University School of the Arts au Qatar, soulignant d’emblée le lien entre culture et politique dans une époque particulièrement complexe. Ce livre, issu de sa thèse de doctorat et abondamment illustré, propose une réflexion passionnante sur la façon dont la génération d’artistes qui a gravité autour de l’École des Beaux-Arts de Casablanca, s’est positionnée dans un monde ouvert, ancré mais non limité au Maroc, en construisant ses ruptures et ses solidarités. Holiday Powers étudie ce mouvement depuis ses racines sous le Protectorat jusqu’en 1978, première édition du Moussem culturel d’Asilah, qui a inauguré une « nouvelle ère de pratique artistique institutionnalisée ».
Expérimenter
Le discours colonial opposant binairement tradition et modernité est selon elle une des racines de la résistance des artistes à cette injonction anhistoricisante, qui se reflète dans l’exposition « 2000 ans d’art au Maroc », en 1963, à la galerie Charpentier à Paris. Au contraire, la Rencontre internationale des artistes à Rabat en 1964 « met les artistes marocains en dialogue avec des travaux internationaux majeurs ». Holiday Powers retrace la formation internationale d’artistes comme Farid Belkahia, Mohammed Chabâa, Mohammed Melehi, leur inscription dans les réseaux tissés lors de leurs expositions, ce dialogue permanent qui a structuré leurs œuvres et leur travail à l’École des Beaux-Arts de Casablanca. Elle insiste sur l’originalité de la pédagogie nourrie de ces solidarités avec les mouvements anticoloniaux, panarabe, panafricain, tiers-mondiste. D’où un travail à la fois pratique et intellectuel, considérant la tradition marocaine non comme le bloc statique décrit par le regard colonial mais comme une dynamique vivante. Ainsi, Farid Belkahia relisant la tradition plastique estimait que « l’expérimentation doit rester notre principale préoccupation », tandis que Toni Maraïni enseignait l’histoire de l’art non comme une série de dates mais comme l’étude des raisons de la création, dans une perspective sociale et historique.
L’enjeu de cette époque, marquée par les années de plomb et sa politique de la tradition, était d’élaborer une culture nationale qui échappe à ces dictats réactionnaires. Sans réduire la richesse des parcours individuels, Holiday Powers retrace les temps forts de cette riche histoire, entre la célèbre exposition en pleine place Jamaa El Fna à Marrakech en 1969, la collaboration avec la revue Souffles, elle en souligne les prolongements à travers de nombreuses initiatives, comme la galerie l’Atelier, l’appartement 22, etc., et en montre la dimension structurante sur les plans esthétique, social et politique jusqu’à aujourd’hui.
Et vous, vous lisez quoi ?
Kenza Sefrioui
Moroccan Modernism
Holiday Powers
Ohio University Press, New African Histories, 322 p.
Disponible ici











