Édition,
investigation
et débat d'idées

Elias Khoury : sortir des ghettos

Le romancier libanais Elias Khoury s’est éteint le 15 septembre dernier, laissant une œuvre immense qui chante l’humanité dans sa complexité.

La petite montagne, Un parfum de paradis, Le petit homme et la guerre, Yalo, Comme si elle dormait, Le coffre des secrets, Sinalcol, Les enfants du ghetto, et bien sûr La Porte du soleil… Si le roman a supplanté la poésie comme genre majeur dans le monde arabe, c’est en grande partie grâce à Elias Khoury, estime Farouk Mardam-Bey, son éditeur chez Actes Sud, grâce à qui – et à sa traductrice Rania Samara, cette œuvre existe en français. Farouk Mardam-Bey salue un auteur « fantastique d’exigence », composant avec virtuosité un récit complexe, procédant par digressions et dans une langue « tournée vers l’avenir », un avenir qu’il rêvait démocratique et moderne pour le monde arabe.

Elias Khoury, né en 1948 à Beyrouth, a tout essayé, la nouvelle, le théâtre, la critique littéraire, l’essai, la chronique. Il a été le rédacteur en chef de la revue Les Affaires palestiniennes, où il a côtoyé Mahmoud Darwish. Il a dirigé l’édition arabe de la Revue d’études palestiniennes. Il a été professeur de littérature comparée à Beyrouth et à Columbia à New York. Mais c’est le roman qui lui a donné l’amplitude nécessaire à son projet de faire ressentir, au-delà des cases et des enfermements identitaires, la complexité des sociétés arabes en lutte pour l’émancipation. Dans La Porte du soleil, paru en 2002 et lauréat du grand prix palestinien de littérature, Elias Khoury mettait en scène un homme qui, pour raviver la mémoire de son père spirituel mourant, lui racontait la vie des réfugiés de la Nakba à Chatila. Un roman sur l’exil, la lutte et la résistance, qui fut adapté au cinéma par Yousri Nasrallah.

Engagement pour la Palestine

Dans sa trilogie des Enfants du ghetto, c’est dans l’imbrication des peuples et des représentations qu’il nous plonge. Adam est né en 1948 à Lydda, ville palestinienne dont Israël a fait un ghetto, Lod. Dans L’Étoile de la mer, le second volet et le dernier traduit en français, Adam a quinze ans et quitte la ville, sa mère et les humiliations de son beau-père. Il entame une vie d’errance, au gré des chances qui s’offrent et se refusent, des acceptations, des préjugés et des mémoires qui se font écho. Le roman fait le parallèle entre deux ghettos, celui de Varsovie et celui de Lod, pour souligner le caractère inacceptable des assignations, des enfermements et des réductions, et dire combien la lutte pour la liberté est universellement légitime. Le motif central du livre est celui de la trahison car un personnage en quête de soi et de sa liberté n’est jamais là où les autres l’attendent et voudraient le maintenir, et qu’il doit assumer la perte et le déracinement pour comprendre que chacun est fait une myriade d’histoires et d’identités. Un roman virtuose, d’une grande poésie et d’une immense profondeur.

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

L’étoile de la mer
Elias Khoury, traduit de l’arabe (Liban) par Rania Samara
Actes Sud, 384 p., 310 DH

20 septembre 2024