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Le choix de l’indépendance

Les éditions françaises Les Prouesses, spécialisées dans les écrits du matrimoine littéraire du monde entier, rééditent le premier roman de Nawal El Saadawi.

« Parce que j’étais une fille »… C’est par ce refrain que l’héroïne de ce livre prend conscience de sa féminité, ou plutôt de ce qu’implique être une fille, puis une femme, dans la société égyptienne des années 1950. Cette prise de conscience, sous le signe du « conflit » et de l’« inimitié », voire de la détestation, est le point de départ d’un élan vers l’indépendance et le refus des assignations et des injustices. La jeune femme devient médecin, fait ses choix personnels, s’impose et assume – y compris la solitude inhérente aux positions à contre-courant.

Le monde à l’aune de son propre jugement

Ceci est un roman, protestait, en préface à la première édition en anglais, en 1988, Nawal El Saadawi, tout en précisant qu’il décrivait « fidèlement la situation morale et sociale des femmes à cette époque-là ». Mémoires d’une femme docteure, le premier roman écrit par la psychiatre et militante féministe égyptienne alors âgée de 26 ans, a été d’abord publié en feuilleton en 1957 dans le journal Ruz al-Yusuf. Aussitôt encensé par la critique, aussitôt censuré par le gouvernement, ce qui lui a valu de nombreuses rééditions tronquées.

Nawal El Saadawi
Nawal El Saadawi

Publié initialement sous le titre de Mémoires d’une femme docteure, cette nouvelle traduction, signée Fayza El Qasem, emprunte son titre à Oum Kalthoum, Kayfa marrat ‘ala hawaki lqulub, « Combien de cœurs se sont pour toi passionnés ». Ce titre invite à relire cette œuvre dure et sans concessions, comme écrite au scalpel, à la lumière des liens à recomposer. L’héroïne tire un trait net sur « l’univers étriqué et détestable des femmes, d’où se dégageaient des relents d’oignon et d’ail », destinés à remplir la panse insatiable des maris, apprend à regarder « sans honte » le cadavre d’un homme sur une table de dissection, de la même manière que les étudiants hommes en médecine « regardaient sans honte » celui d’une femme dénudée sur la table d’à côté – un face-à-face où « l’homme se dépouill[e] peu à peu de sa superbe, de sa majesté et de son apparente puissance ». Elle choisit ses époux et compagnons, elle impose ses désirs et son exigence de respect. Elle apprend aussi le bonheur d’une relation souhaitée, l’empathie envers ses patient.es, l’humilité face à la souffrance et à la mort. Et la nuance, quand elle comprend que les gens sont « des victimes et des coupables à la fois ».

Sa traductrice, ainsi que la poétesse Rim Battal qui en signe la postface, saluent le courage de Nawal El Saadawi, et applaudissent un ouvrage de mobilisation pour une cause juste. L’autrice affirmait : « Le féminisme inclut tout. C’est la justice sociale, la justice politique, la justice sexuelle ». Un livre puissant et fin, d’une vibrante actualité, sur la dignité.

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

Combien de cœurs, mémoires d’une femme docteure
Nawal El Saadawi, traduit de l’arabe (Égypte) par Fayza El Qasem
Éditions Les Prouesses, 126 p., 220 DH

21 juin 2024