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Le mystère d’un homme

Le dernier roman de Kebir Mustapha Ammi sonde les zones d’ombres et de lumière d’un inconnu. Donc de tous les hommes en quête de vengeance et de réparation.

Que s’est-il passé à Chatenay ? Un homme enquête sur un autre. Il le retrouve après cinq ans, après avoir recueilli des témoignages, visité les lieux qui lui étaient familiers, interrogé des témoins. L’homme qui traque aurait eu des raisons de se venger et de haïr. Il est au soir de sa vie et recherche l’apaisement. Celui qu’il cherche s’appelle Lakhdar. Il a l’âge de celui qui le poursuit. Il n’est pas du même monde. Les deux hommes ont chacun un but avec une détermination peu commune. De Lakhdar, l’homme dit : «Il avait tout subordonné à ce feu qui brûlait au fond de lui, tout rangé ou jeté, pour être prêt le Jour J à affronter ce qu’il voyait comme son destin, il s’était convaincu que c’était pour cela, et rien que pour cela, qu’il était venu au monde ». Lui-même n’a cessé de rechercher Lakhdar jusqu’à l’« obsession », pour comprendre ce qu’il décrit comme son « entreprise ». Ce face-à-face repose sur le mystère qui entoure un drame ancien. Un meurtre. Qui fait écho à un autre.

Grâce aux failles de la mémoire

Kebir Mustapha Amni

Kebir Mustapha Ammi adore les enquêtes qui plongent leurs ramifications dans l’histoire et relient plusieurs pays. Ici, la France et l’Algérie. La mémoire, ou plutôt ses échecs, relie deux meurtres. L’un commis pendant la guerre d’Algérie. L’autre, dans la petite commune de Chatenay, en région parisienne. Il est question d’un coiffeur auteur de mises en scènes macabres. Il est question d’un marchand de sommeil qui traque les anciens de l’O.A.S. pour « regarder droit dans les yeux ceux qui avaient mutilé à tour de bras » et « leur demander pourquoi ». Il est question d’une délicieuse vieille dame qui ne se remet pas de l’assassinat de son amant, Lakhdar. Il est question d’un « excellent homme », Monsieur Dubonrepère, « qui avait eu une vie très riche ». Il est question de reconstruction, d’errances, de déchéance, de masques et de nouvelles identités.

Au fil des pages, le journaliste qui enquête semble fusionner avec Lakhdar dont il suit le rapprochement (les manœuvres ?) de la personne dont il veut gagner la confiance. Il méprise le travail d’un de ses collègues qui « a inventé des parties entières de son enfance » pour que son livre sur l’affaire du coiffeur aux mains rouges se vende. « Ils racontent tous un tissu de mensonges. » Mensonges, silences, oublis, rejet d’ascendances criminelles, falsifications… C’est sur le chemin d’une vérité enfouie que nous emmène le romancier, qui ne cherche pas à résoudre un fait divers, mais à sonder les séquelles de l’horreur, les tourments de la dette et de la vengeance. Car si sur le plan de l’histoire il y a les criminels et les victimes, à l’échelle de l’intime, la vérité est dans le doute, insiste Kebir Mustapha Ammi. Un homme n’est qu’« une addition d’incertitudes et de hasards. »

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

Le coiffeur aux mains rouges
Kebir M. Ammi
Elyzad, 160 p., 210 DH

7 mars 2025