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Les multiples voix de Brazzaville

Dibakana Mankessi vient d’obtenir le Grand Prix Afrique 2023 pour son 4ème roman. Un brillant récit polyphonique sur l’histoire contemporaine de la République du Congo.

« Il manquait quelqu’un comme vous dans ce pays où l’on peut facilement devenir fou sous la pression de la forte chaleur, des comportements loufoques des gens, de la musique folle des rues, du bruit des bières et des putes dans les bars… » C’est ainsi qu’est saluée, par son propre analyste, l’arrivée dans la profession du docteur Kaya et son installation comme psychanalyste dans le Brazzaville des année 1960. Fils d’un homme sourd et muet auquel il a toujours servi de traducteur, et pour réparer ce qu’il ressentait comme l’injustice d’être parmi les bien portants, Kaya voulait devenir médecin. Il devient le seul psychanalyste de Brazzaville – le « chikanaliste » pour la plupart des gens. Entre ses consultations, il tient un journal. Massolo, fille d’une grande famille emprisonnée à cause de sa proximité avec le président déchu, se fait recruter à son cabinet comme femme de ménage…

Palpitant

Dibakana Mankessi

Dans ce roman à multiples fils brillamment entrecroisés, Dibakana Mankessi, qui est sociologue, brosse un tableau palpitant de l’histoire contemporaine de la République du Congo. La belle Massolo suscite toutes les convoitises, mais tous ses amants connaissent une mort tragique : le professeur Koussou, père de son fils, le terrible Ibogo, chef de la Défense civile, et l’inquiétant commandant Oba. Dibakana Mankessi utilise les romances successives pour mettre en scène toutes les composantes d’une société au sortir de la colonisation et en prise aux déchirements et aux coups d’État militaires. Dans le journal du docteur, sont consignées dans un ton neutre aux effets souvent hilarants les obsessions de la société : un voleur consultant en formation aux techniques de vol (pour officiels et au profits des expats) ; une épouse d’un mari-léopard, avec bien entendu des jeux sur les mots… ; un poète qui se choisit pour nom de plume Tchicaya U Tam’si ; des chasseurs de nazis. Et comme les patients de Kaya sont parmi la haute société, les services de renseignement s’en mêlent. La figure de Lumumba est un trait commun à plusieurs patients. Un homme de main belge livre un récit effarant de son rôle pour faire disparaître le cadavre de Lumumba… Romanesque et politique à souhait, ce roman palpitant souligne également avec une grande finesse les relations de pouvoir et notamment le harcèlement systématique dont les femmes font l’objet. L’enjeu est au final moins de dénouer que de comprendre…

Saluons au passage le beau travail des Lettres mouchetées qui, depuis 2015, depuis Pointe-Noire en République du Congo, promeut les plumes de la région. Cette maison d’édition indépendante fondée par Muriel Troadec a pris pour nom le surnom du bois d’amourette, un bois solide et veiné de noir originaire d’Amérique du Sud, avec lequel étaient autrefois fabriqués les caractères d’imprimerie.

Dibakana Mankessi est l’invité de la 3ème édition de Livres d’ailleurs à Nancy du 12 au 14 avril prochain.

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

Le Psychanalyste de Brazzaville
Dibakana Mankessi
Les Lettres Mouchetées, 456 p., 240 DH

22 mars 2024