Lumières arabes et révolutions
Le 4 mai dernier, Elizabeth Suzanne Kassab était l’invitée du CAREP Paris dans le cadre d’un webinaire intitulé « Débats intellectuels et mouvements de protestation arabes depuis 2010 ».
Docteure en philosophie, l’auteure a enseigné et mené ses recherches sur la culture occidentale et la pensée arabe contemporaine dans plusieurs universités libanaises, allemandes et américaines. En 2010, elle a publié son étude de la société et de la vie politique arabe Contemporary Arab Thought, Cultural Critique in Comparative Perspective avec l’aide de la Columbia University Press.
Au cours de cette conférence, Elizabeth Suzanne Kassab revient sur son dernier livre, Enlightenment on the Eve of Revolution, the Egyptian and Syrian Debates sorti en 2019 aux éditions Columbia University Press, en abordant la question de la place des intellectuels dans les protestations arabes.
Celui-ci fait écho à son œuvre précédente, qui évoquait le malaise profond qui domine politiquement et socialement la scène intellectuelle et le monde arabe. Peu après la publication de son livre, des révoltes émergent, face à un sentiment d’impuissance devant un échec économique, social et culturel. C’est dans ce contexte qu’Elizabeth Suzanne Kassab a cherché à comprendre comment les intellectuels percevaient ce qu’il se passait en Syrie et en Égypte.
C’est ainsi qu’elle a découvert le terme de Lumières, qui ne renvoie pas à la philosophie ou aux travaux académiques occidentaux mais à la réalité du Caire et de Damas dans les années quatre-vingt-dix. Elle nous explique qu’à la veille des révolutions de 2011, le gouvernement égyptien cherchait à contrecarrer les manifestations violentes en propageant tolérance et liberté par le biais des intellectuels. Ce sont eux qui ont pourtant déconstruit ce discours en 2000 en dénonçant l’hypocrisie du gouvernement qui ne défendait pas véritablement ces valeurs. Elle retrouve également cette notion de Lumières dans de petits cercles intellectuels syriens, en opposition à la barbarie de l’État, qui réprime la vie politique et empêche toute forme de démocratie.
Lorsque ces deux pays ont obtenu leur indépendance, les Égyptiens et les Syriens ont imaginé que l’État assurerait le progrès, la prospérité, la justice sociale et le développement et ont subi une désillusion qui, selon Elizabeth Suzanne Kassab, a crû jusqu’aux révoltes. Cette notion de Lumières reflète la société rêvée à l’issue du colonialisme : juste, éduquée et en bonne santé. D’après l’auteure, les deux pays subissent aujourd’hui l’échec de l’État. Ils sont conditionnés pour accepter la barbarie et être complices d’un système qui réprime la parole et l’humanité. Elle définit alors le concept de Lumières arabes comme une revendication de la vie humaine et de la dignité.
Marine Madani