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L’utopie comme échappatoire

Prix Mare Nostrum 2024 du roman méditerranéen, le dernier roman de l’écrivaine palestinienne Yara El-Ghadban imagine une dissolution du génocide dans une catastrophe écologique.

Et si on changeait d’échelle ? L’apartheid, le génocide des Palestiniens, la colonisation israélienne soutenue par les pays occidentaux…, que seraient-ils à l’échelle de la planète ? « Et si la Palestine offrait la seule utopie possible ? », avec la malice qui est la sienne et qui fonctionne comme un formidable levier de mise à distance face aux horreurs de l’actualité. Dans ce quatrième roman, qui vient de recevoir le prix Mare Nostrum du roman méditerranéen, la romancière palestinienne, autrice du remarqué Je suis Ariel Sharon (Mémoire d’encrier, 2018), imagine qu’en Palestine, la mer Morte s’est évaporée. Le sel ronge la région – et l’humanité – comme une maladie. Paysans, colons, soldats, prisonniers, ouvriers autrefois relégués survivent ensemble et rebâtissent une communauté. Des colonies de flamants roses s’installent, dont la danse gracieuse lorsqu’ils fouissent la vase en quête de nourriture devient un modèle de survie.

L’espoir est dans le vivant

Yara El-Ghadban

Yara El-Ghadban restitue avec précision les rapports de force et les clivages, puisque ce n’est que lors que les colons israéliens ont été atteints à leur tour que « le fait divers est devenu un drame humain à l’échelle internationale ». De même, les ravages de l’environnement causés par la guerre et l’extractivisme colonial empêchent de lire ce récit comme de la science-fiction. Mais c’est plutôt une fable que l’autrice, qui est anthropologue de formation, nous invite à lire. Là où l’actualité attire notre attention sur les éléments réalistes, sur les aspects politiques et environnementaux notamment, Yara El Ghadban donne la voix à une nouvelle génération, avec les descendants des rescapés, Alef (au nom très symbolique) et Anath. Il est question d’amour, de sagesse inspirée de la vie animale, d’harmonie avec la nature… « Nous avons appris à vivre avec la fragilité de la terre et les humeurs intempestives de l’eau. Nous avons appris à veiller sur les vivants comme ils veillent sur nous ». Leur ancrage s’incarne par un jumelage avec un flamant, leur langue poétique est partagée par humains et oiseaux, dont la communion dans la danse est un temps fort du livre : « Comprendre sans nommer sans posséder est une danse. Alors nous dansons dansons dansons la danse des flamants. » Mais ce roman n’est pas une fuite mièvre dans une utopie toute rose : il s’agit de garder la mémoire des conflits pour se préparer à ceux qui peuvent survenir. Un texte frais et porteur d’espoir.

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

La danse des flamants roses
Yara El-Ghadban
Mémoire d’encrier, 280 p., 280 DH

6 décembre 2024