Mostafa Nissabouri, poète
25 ans après la parution d’Aube, Mostafa Nissabouri nous offre une grande œuvre : celle d’une vie à la lumière de la poésie.
« On se réveille un matin avec la ferme intention d’interrompre les visites qu’on rend habituellement, quelques fleurs à la main, à ses phrases convalescentes ». Ainsi s’ouvre « L’Épître de l’île déserte », sur cette possibilité offerte aux phrases de prendre leur envol, de se donner « le loisir des métamorphoses », de « se dire tout à fait libérées du fonctionnement de la pensée, avoir pleine faculté de se cristalliser dans des formes allégoriques et pouvant à n’importe quel moment partir rejoindre, à côté d’autres représentations semblables et émotions associées, les milliers d’étoiles qui auront pris place au ciel quand on aura disparu ». Mais cette délivrance, c’est en fait la fin d’années de fusion entre la poésie et le poète. C’est la libération des mots « de ce travail de dévoration interne » incessant, après le poète.
La beauté de l’immensité
Dans ce très beau recueil, Mostafa Nissabouri semble mettre en scène son effacement, sa dissolution dans la musique des phrases, dans la grandeur de la nature, dans la houle de la haute mer et dans le flux du vent, qui façonnent au gré de leur humeur les apparences. C’est comme s’il s’agissait de se mettre au diapason de la poésie, de s’ouvrir à « d’autres chemins à parcourir », à la beauté de l’immensité. La mer occupe une place centrale dans cette invitation à la « dérivation », à se laisser fasciner par « le scintillement aquatique ». La mer, « lieu élémentaire », cimetière des mythes, illuminée de « vin de lune », est ce lieu fascinant sans repère et sans ancrage où l’on attend « la vraie aurore ».
De section en section, Mostafa Nissabouri nous entraine dans un voyage sensoriel, une « anamnèse » parmi les chimères et dans des paysages où il s’agit de se fondre, pour cesser d’y porter un point de vue et laisser l’absence assembler les rêves, dans l’ivresse et le vertige, seuls remèdes au désespoir. Dans « Station de la dune blanche », le poète refait le voyage de l’antique île de Cernè, l’île délaissée, à la Montagne noire et à l’Adrar Sottouf. Il nous invite à la vie nomade et à son art consommé de la poésie, rend hommage à la splendeur minérale, regs de sable gris, filons de granit rose… Un parcours d’enchantement : « L’hypothèse que quelque part / il y ait un tel matin d’images / qu’un autre que toi après dire / – dans la pure immédiateté / des choses visibles – reconduit / l’instant même où tu mémorises / au seuil d’un poème inhabité / une parole venue du dehors ». Le recueil se clôt sur une tonalité de conte métaphysique, avec « Les sept vagues », chacune charriant sa beauté et ses promesses – la dernière faisant « don au rivage / de la relation infinie des nuits à jamais perdues / des lieux où on ne peut plus aller / d’un seul lieu d’épiphanie à la place de tous les lieux / de la parole à reconquérir. » Un recueil amoureux de la nature et du verbe. Splendide.
Mostafa Nissabouri sera en dédicace samedi 11 mai à 16 h sur le stand de Sochepress, puis sur le stand des éditions Toubkal, au SIEL, où il signera aussi Étoile distante et autres textes poétiques (traduit en arabe par Mohammed Bennis).
Et vous, vous lisez quoi?
Kenza Sefrioui
La variable poétique en premier
Mostafa Nissabouri
Distribution Sochepress, 200 p., 90 DH