Portraits de mères
Dans un récit autobiographique croustillant et plein de sensibilité, Houssa Yakobi rend hommage aux femmes qui l’ont élevé.
« Sur 1 200 foyers de notre tribu, nous avons été deux garçons seulement à obtenir notre baccalauréat, non pas que les jeunes de notre âge fussent des idiots, loin de là, mais, terrible injustice, ils n’avaient tout bonnement pas eu accès à l’école ! En ce qui me concerne, j’ai été scolarisé accidentellement… Quant à l’autre lauréat, il résidait en ville, chez un parent conscient de la nécessité de l’envoyer étudier. » Dès les premières lignes, Houssa Yakobi donne le ton de ce que sont les débuts dans la vie des enfants pauvres des régions marginalisées, en l’occurrence le Moyen-Atlas. Animateur en agroécologie et gérant d’un gîte écotouristique, son récit autobiographique est le fruit d’une collecte des récits familiaux et de son œil perspicace, à l’affût d’un trait d’esprit, d’un haussement de sourcil et surtout d’une histoire singulière. Et si le fil conducteur est son parcours personnel, c’est aux femmes qui l’ont élevé, construit, soutenu, aimé, étonné et qu’il a admirées que Houssa Yakobi rend un vibrant hommage.
Devoir de reconnaissance
Une mère trop tôt emportée par la typhoïde, cinq mères adoptives, « comme les piliers de l’Islam ! », un veau pour frère de lait…, sa vie débute dans la montagne, proche de la nature et des animaux. Accompagné par des femmes aimantes à la forte personnalité : khalti Yamna qui d’une seule allumette savait « réchauffer des foyers », Mouna et Aatti et leurs prières parsemées de « houche ! houche ! » à destination de la poule qui s’approche trop du blé, Zinba, la première à avoir répudié son mari, Bahha qui « un jour de fête [a dit] à tous les hommes de la tribu, la vérité de leurs corps ? » Houssa Yakobi raconte les jeux trompe-la-faim, l’inévitable école coranique et sa violence sadique, son entrée à l’école française parce qu’« on y mange gratuitement ».
Son livre témoigne de l’absence d’adéquation des politiques publiques à destination de populations amazighophones et fières de leurs codes. Lors des campagnes d’alphabétisation en arabe en effet, les instructeurs ignorent totalement la langue maternelle de leurs élèves. Or, notent les gens : « On n’épluche pas un cœur d’artichaut les yeux fermés ». L’exigence de photos d’identités prises tête nue heurte des hommes qui ne quittent pas leur turban. Quant à l’état civil, il est carrément imposé par des fonctionnaires soucieux d’aller au plus facile pour eux, ce qui s’est parfois avéré utile : « alors que j’étais un étudiant maoïste en France, je pouvais rentrer au pays avec l’identité d’un enfant de la bourgeoisie régnante ! »
Dans ces récits de galères mais aussi de moments de fraternités et de rencontres, un trait constant : la révolte contre l’injustice, que des enfants « vendent des cigarettes au détail », que des médecins bafouent le serment d’Hippocrate. Mais plus que la colère, c’est la tendresse qui domine dans ce livre. À sa sœur, Houssa Yakobi adresse ces mots : « La famine t’a instruite. Aujourd’hui tu cultives la générosité, et c’est ce qui illumine ton âme à chaque fois que tu nourris quelqu’un. » Car pour lui, l’écriture est l’occasion de s’acquitter d’une dette, un devoir de mémoire et de reconnaissance.
Et vous, vous lisez quoi ?
Kenza Sefrioui
Mémoires d’autres mères
Houssa Yakobi
Éditions Falia, 154 p.
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