Pour redonner sens à la vie
Le poète et performeur irakien Kadhem Khanjar prend l’humour et l’ironie comme contrepied à la violence et à la guerre.
« La petite fille a dit à sa mère : Je vais aller jouer dans la rue
Puis elle est sortie de la maison.
La mort a dit à sa mère : Je vais aller jouer dans la rue
Puis elle est sortie de la maison.
Pendant des années elles ont joué ensemble dans la rue
À courir l’une après l’autre
La fille attrapait la mort
Et la mort attrapait la fille.
La nuit
Chacune ramenait avec joie l’autre à sa mère. »
Ce recueil est un acte de résistance. Kadhem Khanjar est né en 1980 dans la province de Babel et lance un défi à la guerre et à ses ravages sur le quotidien. Il faut lire ce livre, son troisième traduit en français après Marchand de sang (Plaine Page, 2017) et Promenade ceinturé d’explosif (La Crypte, 2018), en ayant en tête que l’auteur est membre de la Milice de la culture, un collectif de poètes qui organise des performances filmées dans les lieux qui ont été frappés par la folie destructrice – cimetière de voitures piégées, cage de Daech, champ de mines, ambulances, fosses communes… – pour donner voix aux victimes.
Une poésie très inventive
Ce bref recueil bilingue est un inventaire sans complaisance de tout ce qui nuit à l’humanité et rend le quotidien invivable. Kadhem Khanjar relève, note, décortique, analyse, passe chaque fait au crible d’une ironie, souvent douloureuse, mais qui fait de ces brefs poèmes un cri politique. La « lettre ouverte », l’aphorisme, le portrait, l’éloge… sont autant de ressources pour dénoncer l’horreur et tenter de comprendre « le sens de la vie qui commence avec du sang et finit avec une cicatrice ».
À un soldat américain qui se vante de son « score » de victimes irakiennes, il lance : « Tu n’as pas à t’inquiéter, personne n’a encore battu ton record ». « Le cuir est plus utile dans les chaussures et les valises que sur le dos des bêtes », clame-t-il dans « Éloge de la barbarie ». Dans « Les nouveaux Noirs », c’est au racisme qu’il s’en prend : « L’espace d’un instant tu as l’impression de n’avoir jamais quitté ton pays ». Au dictateur, il renvoie sa propre peur. Aux puissants, leur cynisme et leur compromission qui retombent sur les autres : « L’enturbanné pour lequel tu es mort a serré hier la main de tes assassins », écrit-il sur la tombe de son ami. D’autres passages sont plus mélancoliques, comme le poème sur la chaise roulante d’une petite sœur décédée, sur le vélo d’un petit garçon, la machine à coudre de sa mère qui, faute de fil, « nous habillait de ses larmes ».
Mais au fil des pages, la terreur, la dictature, la destruction sont comme mises à distance, retournées en savoir-faire inutile : « Nous avons essayé toutes les méthodes de mise à mort / Et en avons découvert tant d’autres / Mais personne n’apprécie notre effort ». Poignant.
Et vous, vous lisez quoi ?
Kenza Sefrioui
Nous nous battons pour le plaisir
Kadhem Khanjar, traduit de l’arabe (Irak) par Antoine Jockey
Lanskine, 80 p., 210 DH