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Quartiers du monde : un jeu contre le conservatisme

Pour lutter contre les conservatismes, l’ONG Quartiers du monde (QDM) développe des programmes de promotion des droits des femmes et d’une citoyenneté complète pour toutes et tous.

Quelle est la relation entre une dame comme Fatima El Fihriya, qui a financé la construction de la Qaraouiyine, Najat El Gaara, championne mondiale de lancer de disque aux jeux paralympiques, ou encore Asmaa Bouchibar, la chercheuse marocaine à la Nasa ? Réponse : elles font toutes partie du jeu Nla3bouha Mousawat (Jouons pour l’égalité). Un concept créée par l’association Quartiers du Monde et porté par la militante Fatna El Bouih.

Un outil pour les écoles et les associations

« Dans la perspective de construire des outils participatifs, formatifs, et qui intègrent la perspective de genre, nous avons produit un jeu, Nla3bouha Mousawat qui rend visible les femmes et leur place dans l’histoire marocaine. Des associations de défense des droits des femmes, des élèves de collèges, lycées, des familles ont participé à des ateliers pour identifier 50 femmes qui les ont influencés. Ce jeu permet de remettre en question les stéréotypes de genre qui prétendent que les femmes ne sont pas faites pour l’espace public, en mettant en avant, entre autres, l’artiste Hadda Ouakki, la pilote Touria Chaoui, la scientifique Asma Boujibar, et bien d’autres », explique Carine Troussel, Coordinatrice Maroc de l’ONG Quartiers du monde. Ce jeu est ouvert également aux hommes, puisque trois figures masculines partagent ce jeu. « Ces hommes ont œuvré socialement et politiquement pour les droits des femmes et ont appliqué ces principes dans leurs vies privées, dans leurs relations quotidiennes. Ce jeu est utilisé dans les établissements scolaires et par la société civile », ajoute Carine Troussel.

Le but de cette belle initiative, c’est de promouvoir, par des moyens ludiques, des récits qui montrent l’impact que des femmes marocaines ont eu dans divers domaines, les arts, la politique, la science, les sports ou l’économie. Une histoire souvent méconnue, parfois même marginalisée et qui, par le biais de ce jeu, fait la promotion de manière fine et intelligente de l’égalité entre les femmes et les hommes. « Saviez-vous que…Lalla Rkia cachait des armes ? Quand la police l’a interrogée, elle s’est cachée derrière le statut de femme sans pouvoir ni connaissance. Quant à Lalla Malika, elle a signé le Manifeste de l’Indépendance et s’est fait passer pour un homme pour publier ses articles dans les journaux. Sa maison servait de lieu d’échanges pour les femmes qui s’y retrouvaient, mais les autoritésconsidéraient que ça n’était que des affaires de femmes, sans importance. Venez donc écouter leshistoires de Malika El Fassi, Fatima Mernissi, Lalla Rkia et Kharboucha », peut-on lire dans la présentation de Nla3bouha Mousawat.

Quartiers du Monde ne compte pas s’arrêter là. « Nous allons continuer à proposer et à produire des outils. L’année 2021 nous permettra d’adapter au contexte marocain un curriculum pour les jeunes parents, dans un objectif de prévention des violences de genre, de partage des tâches et des responsabilités notamment avec l’arrivée des enfants. Nous réfléchissons et nous commençons à mettre en place des pratiques d’“autocuidado” (prendre soin de soi). C’est encore embryonnaire à Quartiers du Monde mais nous souhaitons réellement prendre en compte cette question », souligne Carine Troussel. Autre action à venir : un jeu vidéo sur l’égalité et les masculinités. « C’est une demande qui vient des écoles et des clubs des droits humains au sein d’établissements scolaires à Salé et à Rabat. C’est un jeu qui se fera avec les jeunes, dans un processus participatif. Il sera question des rôles de la femme, des relations avec les parents, de déconstruction des masculinités », conclut Fatna El Bouih, chargée de ce projet au sein de QDM.

 

L’entretien

Carine Troussel, coordinatrice Maroc : « La question de l’implication des hommes pour l’égalité de genre nous importe. »

Carine Troussel

 Parlez-nous tout d’abord de Quartiers du Monde (QDM) et de sa section Maroc ?

Quartiers du Monde est une ONG française de solidarité internationale créée en 2003, qui coordonne deux réseaux Sud-Sud-Nord d’organisations sociales, de collectifs de jeunes, filles et garçons, et de femmes, en Afrique du Nord et de l’Ouest, en Amérique latine, et en Europe. QDM renforce les capacités des organisations sociales dans les Suds et dans les Nords afin d’accompagner des processus d’empowerment sociopolitique et économique des jeunes et des femmes de quartiers populaires, en matière de participation citoyenne, de rapports de genre, d’économie sociale et solidaire, de travail digne, de lutte contre tout type de violences. Au Maroc, depuis 2012, nous travaillons en partenariat avec des organisations de la société civile.

Quelles ont été les principales actions de l’ONG au Maroc ?

Nous avons co-construit avec des collectifs de jeunes, quatre éditions à Salé d’un forum international de jeunes de quartiers populaires. Les jeunes femmes et hommes ont animé des ateliers sur la construction de relations de genre égalitaires, les migrations, la participation politique et citoyenne… Après des mois de préparation dans leurs pays et grâce à des méthodologies ludiques et participatives, elles et ils ont mis en débat des sujets qui leur tenaient à cœur, à partir de leurs expériences et du savoir collectif construit. Des moments très forts où nous nous sommes retrouvé.es dans le regard des autres.

Nous avons produit avec la Fédération des Ligues des Droits des Femmes et le CNDH un kit pédagogique pour travailler le genre, le « Pays de Jamais ». Il est construit autour de 5 courts-métrages réalisés à Ouarzazate avec des actrices et acteurs marocain.es. Dans ces vidéos sur la participation politique des femmes, les inégalités économiques et face à l’emploi, le pouvoir et l’autonomie, le mariage des mineures et la polygamie, les rôles sociaux des hommes et des femmes sont inversés pour rendre visibles les inégalités et les discriminations. Ces vidéos sont accompagnées de livrets pour « aller plus loin ». Ils regroupent des dizaines d’outils basés sur les méthodologies de l’éducation populaire (cartographie sociale, théâtre forum, jeux, …) pour animer des ateliers avec des femmes, des hommes, des jeunes.

Il y a bien sûr le jeu Nla3bouha Mousawat. Finalement, nous avons exploré la question de l’implication des hommes pour l’égalité de genre et l’empowerment des femmes afin de trouver les entrées, les outils pour questionner les masculinités hégémoniques, identifier les privilèges du groupe social des hommes, comprendre le coût du patriarcat pour les hommes, les femmes, la communauté, l’environnement. Le tout dans une perspective intersectionnelle qui prend en compte les discriminations multiples, en fonction du sexe, de l’âge, du milieu social…

Plusieurs associations de jeunesse, de droits des femmes, artistiques, de Ouarzazate, Fqih Ben Salah, Salé ont testé avec nous des approches et des outils qui, après une phase d’analyse et de compréhension commune des systèmes qui organisent notre société, facilitent la participation des hommes dans les tâches et les responsabilités du travail domestique et du care, des soins et de l’éducation des enfants. À titre d’exemple, nous avons produit et diffusé à la radio et sur les réseaux sociaux, le clip DabaODima qui, sur une musique avec des rythmes traditionnels, montre les hommes qui ont souhaité partager avec nous ces vidéos en train de préparer le repas, faire la vaisselle, faire le ménage, seuls ou en famille.

Les femmes et les jeunes semblent être au cœur de vos actions…

En effet ! Nous avons commencé avec les jeunes des quartiers populaires au Brésil, en Colombie, en Bolivie, au Sénégal, au Mali, en Espagne, en France et bien sûr au Maroc. Puis les mères et les grandes sœurs ont souhaité, elles aussi, avoir leur espace sûr pour se retrouver et construire ensemble les solutions à leurs problèmes. Le réseau trouvait pertinent de travailler sur un même territoire avec des groupes discriminés pour développer les dynamiques de changement.

Le portrait

Fatna El Bouih, chargée de projet : l’éternelle battante

Fatna El Bouih

Elle est de tous les combats. Au sein de l’Association Relais Prison-Société (ARPS), qu’elle a fondée en 2005, elle continue de lancer des actions de réinsertion des détenus dans la société, mais également des programmes pour les jeunes des quartiers défavorisées. Au début de cette aventure, Fatna El Bouih s’est concentrée sur les dizaines d’enfants incarcérés avec leurs mères dans les prisons. « Nous avons essayé de changer la sombre réalité des femmes et leurs enfants vivant en détention, à commencer par introduire des crèches dans les quartiers des femmes dans la plupart des prisons marocaines », souligne-t-elle. Elle s’occupe également de la scolarisation de leurs enfants, de l’achat des fournitures scolaires… Victime des années de plomb, incarcérée cinq ans pendant la décennie 1970, elle ne pouvait pas être insensible à la cause des prisonniers, de leur condition d’incarcération et de leur réinsertion. Fatna El Bouih est également auteure d’un livre à grand succès, Une femme nommée Rachid (Le Fennec, 2002) où elle témoigne de sa condition en tant que femme durant les années de détention. Au sein de QDM, elle travaille pour une plus grande diffusion du jeu « Jouons pour l’égalité », notamment dans les établissements scolaires, afin que la culture de l’égalité s’installe dans les pratiques de ces écoliers, qui seront les citoyennes et citoyens de demain.


La fiche signalétique
Quartiers du monde Maroc
2, rue de Tripoli Rabat Hassan
Tel : 05 37 20 63 60
qdm@quartiersdumonde.org
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Hicham Houdaïfa

23 mars 2021