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Rabat : De l’eau recyclée pour faire fleurir l’écocitoyenneté

Ce reportage a débuté par une grande promenade. Profitant des beaux jours, nous sommes allés sur les pas des joggeurs sur le front de mer de Rabat, flâner tout comme les nouveaux promeneurs sur l’avenue Abderrahim Bouabid et découvrir ces espaces « pique-nique » à l’entrée Sud de la capitale.

Mais qu’est-il arrivé aux habitants de Rabat, réputés casaniers ? La réponse se trouve dans les étendues de pelouses qui investissent les lieux depuis deux ans. Une véritable poussée verte grâce à un programme de réutilisation des eaux usées.

Initialement, le recyclage des eaux représentait une solution à la fois économique et écologique pour l’arrosage du Golf Dar Essalam. Mais très vite, la Wilaya et la Commune de Rabat ont décidé de donner des dimensions plus grandes au projet en entretenant les écrins de verdure, mais surtout en créant de nouveaux espaces verts. Pour y parvenir, plusieurs parties prenantes ont été impliquées, comme l’Agence Rabat Aménagement, l’Agence du Bassin hydraulique du Bouregreg, l’ONEE et la REDAL.

La « source » de ces eaux d’arrosage se trouve à Ain Ouda, à 25 kilomètres de Rabat. La station d’épuration, communément abrégée en STEP, a été mise en service en 2019 pour y traiter quotidiennement 10.000 m3 d’eau.

Pour ce projet inédit dans la région, les ingénieurs et techniciens de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable travaillent de pair avec des confrères d’une entreprise privée. Abdesalam Joulid, directeur régional Ouest de l’ONEE, branche eau potable, nous explique qu’il s’agit en fait « d’une collaboration qui permet un transfert de technologie puisque, dans quelque temps, l’ONEE exploitera seul cette station ».

L’eau est ensuite acheminée via un réseau de 70 kilomètres avant d’être distribuée par la REDAL, le gestionnaire délégué. Mais puisque rien n’est trop vert dans les centres urbains, l’on voit déjà plus grand pour toute la région. Le programme de réutilisation des eaux usées desservira Skhirat jusqu’à Bouknadel en passant par Témara, Harhoura, Rabat et Salé.

L’on apprend auprès de Aziza Elouati, responsable du département réseau, infrastructures et schéma directeur à REDAL que « le projet vise, à terme, l’arrosage de 1 000 hectares mobilisant 4 stations d’épuration à Ain Aouda, Tamesna, Skhirat et Salé, plus de 200 km de réseau, en traitant 40 000 m3 par jour ».

Le projet est certes inédit dans la région de Rabat, mais la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima adopte le même concept depuis 2016 mais à plus petite échelle. Il ne s’agit pas d’un projet étatique, avec plusieurs parties prenantes comme à Rabat, mais plutôt d’une initiative d’Amendis, l’opérateur de services publics en charge notamment de la collecte et du traitement des eaux usées.

Pour arroser des pelouses de Tanger et des axes routiers à Tétouan, deux stations de traitement d’une capacité totale de 74 000 m3 par jour et 82 kilomètres de réseau sont mobilisées. « Aujourd’hui, Amendis compte 5 clients municipaux et 5 clients privés pour l’arrosage des espaces verts car le prix de vente des eaux usées traitées reste très abordable par rapport à celui de l’eau potable », nous affirme Abdelaziz Belhaj, directeur adjoint au directeur opérationnel d’Amendis Tétouan.

Des villes qui se parent de vert sous l’œil avisé des ONG environnementales. Abdelhadi Bennis milite justement pour le droit de chacun à un carré de verdure. Le président du club Environnement de l’Association Ribat Al Fath attendait justement ce programme de réutilisation des eaux, estimant toutefois que « les autorités devraient accorder une attention particulière aux quartiers populaires densément peuplés et qui manquent cruellement d’espaces verts pour réduire les disparités sociales et spatiales ».

De son côté, le climatologue Abdelmalek Seloui affirme qu’il est « urgent de convertir d’autres secteurs, gourmands en eau, à l’utilisation des eaux usées traitées mais aussi de sensibiliser les citoyens à l’importance du recyclage des eaux à commencer par les eaux ménagères ».

Souffrant de stress hydrique, le Maroc mise sur le recyclage des eaux. Sur les quelques 700 millions de mètres cubes d’eau potable produits par an, le Royaume vise la réutilisation d’environ 325 millions de m3 à l’horizon 2030. Actuellement, des études s’intéressent à l’agriculture qui mobilise à elle seule 80 % des ressources hydriques. La très précieuse goutte d’eau aura, alors, plusieurs vies.


Ce reportage a été diffusé sur les ondes de la Radio Chaîne Inter, dans le cadre de l’initiative MediaLab Environnement, un projet du CFI financé par le Ministère français des Affaires étrangères.

À réécouter ici:

Sofia Fagroud


Sofia Fagroud est journaliste présentatrice et reporter à la radio Chaîne Inter de la SNRT où elle travaille depuis 2009 après un passage par la télévision. Elle a obtenu le Grand Prix de la Presse Nationale en 2018 pour son grand reportage « Les Petits Voisins du Soleil » sur la scolarisation des enfants dans la commune rurale de Guessat près de Ouarzazate. Sofia Fagroud est titulaire d’une licence en journalisme de l’Institut supérieur de l’information et de la communication (2007) et d’un Master en Communication de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Rabat (2019).

8 novembre 2021