Sens et valeurs du travail chez les salariés marocains
Jeudi 4 octobre prochain Economia HEM Research Center présentera Sens & valeurs du travail chez les salariés marocains. Il s’agit de la nouvelle étude du centre de recherche de HEM publiée avec l’appui de la Fondation Friedrich Ebert, sous forme de livre blanc.
Ce livre blanc, appuyé sur une large étude de terrain soulève des questions centrales sur le marché du travail chez les salariés marocains : que représente le travail pour le salarié marocain ? quels sens et quelles valeurs lui attribue-t-il ? comment le management par le sens peut-il être source de performance pour l’individu et l’organisation ? Ces questions soulevées seront au cœur de la rencontre, organisée autour de la présentation de la genèse et des enjeux du projet de recherche et de la présentation des résultats et recommandations. Les chercheurs invités seront également amenés à commenter leur étude.
Hammad Sqalli, enseignant-chercheur à Economia-HEM et coauteur du livre blanc, livre ses premières conclusions.
Hammad Sqalli : « Sans la prise en compte des projets individuels, le sens se désagrège »
Qu’est-ce qui permet aujourd’hui de donner sens à son travail ?
Le travail ou l’activité d’un individu de manière générale est avant tout contextuel. Donner du sens, ou créer du sens pour et dans son travail résulte ainsi de la conjonction de plusieurs facteurs, qui créent, ensemble, un effet de cohérence global sur lequel se construit le sens et donc potentiellement l’action.
Parmi ces facteurs ou « niveaux d’équilibre », nous pouvons citer les cadres de régulation et d’incitation de l’organisation, les conditions de travail, ou encore la rectitude morale et l’alignement dans les valeurs entre un individu et une organisation.
Mais ce n’est pas tout : il convient de faire un rapprochement entre les projets d’entreprise (mission, vision, stratégie, orientations) et les projets individuels. Sans cela, le sens se désagrège et les distances s’installent, lesquelles sont sources de démotivation, de désengagement et finalement de manque à gagner pour l’entreprise. Force est de constater que ce manque à gagner est difficilement quantifiable, car intangible, d’où la difficulté de la démarche de donner du sens, qui suppose des compétences managériales qui relèvent de l’intelligibilité, de la sagesse, du faire grandir, d’un rapport d’adulte à adulte…
Au niveau de l’organisation toujours, la responsabilité qui incombe aux managers est, pour insuffler une dynamique de sens, de réinscrire le travail et le produit de l’activité de ce travail dans une certaine centralité. Comment ? En (re)créant le lien entre l’individu, les collectifs et les métiers autour de projets communs. La dimension commune est ici prépondérante car c’est à travers les interactions dynamiques sur les processus, les métiers et les aspects sociaux (formels et surtout informels) que se crée le sens du et au travail. La clé pour l’organisation, après avoir pensé et déployé des systèmes encourageant les communautés de pratiques et de savoir, est justement de construire et de pérenniser des communautés d’individus pensants et agissants, plus qu’une collection d’individus disparates.
En soi, la question du sens nécessite la mise en mouvement : en échangeant, je change, en pensant, je me donne les moyens de créer de nouveaux sentiers de sens propices à l’action, en pratiquant, je développe de nouvelles aptitudes qui me permettent d’avancer. Prise comme une boucle de sens, cette démarche circulaire, réflexive et réticulaire est créatrice d’un sens collectif enclin à former cette communauté.
Arriver à donner du sens est finalement l’affaire de tous, pas seulement de l’acabit des managers/dirigeants/actionnaires : c’est bien dans la rencontre des intentionnalités qu’émergeront des éléments de sens. Vous trouverez ainsi dans ce livre blanc des principes d’action qui sonnent comme autant de repères pour les managers désireux de donner du sens à leurs coéquipiers.
Y a-t-il une évolution dans le rapport à la hiérarchie dans les entreprises et organisations ?
Sous couvert d’une étude plus approfondie sur les rapports à la hiérarchie dans les entreprises et les organisations et leurs évolutions, nous pouvons relever de nos observations et de nos travaux empiriques plusieurs réalités.
Lorsqu’on écoute la rhétorique managériale des dernières années, tout porterait à croire que les organisations et les hommes progressent vers une certaine ouverture, voire un aplanissement des structures. La preuve en est de la multiplication des notions d’intelligence collective et collaborative, du renforcement de la coopération, des équipes-projet, de l’écoute, du management bienveillant, et plus encore. Mais la réalité est toute autre.
C’est dans sa dimension invisible, indicible, que l’action prend sens : les éléments qui forment une structure (procédures, processus, ressources, organigrammes etc.) ne sont qu’un éventail formel, plastique et froid. Quant à elles, les expériences émotionnelles, la chaleur des interactions, l’énergie des personnes, les croyances, les craintes, les potentialités de tout un chacun vont dynamiser l’organisation et la former. Il se trouve que dans son complexe formel/informel, chaud/froid, les organisations adoptent des systèmes qui donneront de meilleurs résultats à travers la nature des rapports hiérarchiques.
Il faut avant tout bien comprendre ce que sous-tendent ces rapports, et dans quels cadres ils s’inscrivent. La nature de ces rapports change selon qu’ils relèvent de la strate de la gouvernance ou du rapport ouvrier/superviseur. Une organisation a forcément besoin d’autorité, là n’est pas le propos, mais c’est le degré de contribution dans la prise de décision et de ses modalités qui prévalent ici. « Je suis bien avec mon chef, je reconnais son autorité, mais il m’écoute, je réussis à influencer la décision finale, et il le reconnait devant les intéressés. ». Cette phrase peut aussi bien s’inscrire dans un système de management très cloisonné, hyper pyramidal, où les silos empêchent toute transversalité, comme dans une entreprise ouverte, où la collégialité en est le modus operandi.
Encore une fois, le rapport à la hiérarchie et ce que cela implique en termes de sens, car c’est bien de cela qu’il s’agit, est inscrit dans un contexte. Dans ce premier système décrit, il se trouve que le management de proximitéa réussi à créer du lien et du sens pour les deux protagonistes : le collaborateur (encore un terme issu de la nouvelle rhétorique) se sent écouté et donc valorisé, et le manager se sent faire son travail de manager sans créer les conditions d’une tension potentielle.
Nous avons rencontré, au cours de nos investigations, plusieurs organisations volontaristes qui plaident pour ces démarches vertueuses, et arrivent à impliquer les personnes qui animent ces dites organisations, non exclusivement par le canal du stimulant financier. Mais il subsiste également plusieurs organisations, sous des couverts très modernes, et où les consultations d’experts/coachs/formateurs font florès, demeurent figés dans un certain mutisme de sens, où les enjeux personnels et politiques, ou tout simplement l’incompétence et la malveillance prennent le pas sur le pas sur ce que j’appelle un devenir ensembleporteur de sens.
Propos recueillis par Héloïse Russel-Holland