Traduire en féministe avec Noémie Grunenwald
« Mon enjeu en tant que traductrice est de relayer des voix minoritaires. » Noémie Grunenwald, traductrice de l’anglais, était reçue à l’Institut Français de Casablanca ce vendredi 17 mars pour échanger au sujet de son dernier essai narratif : Sur les bouts de la langue : traduire en féministe/s (La Contre Allée, 2021).
Le chemin de Noémie Grunenwald a croisé celui de la traduction il y a une dizaine d’années, après le constat d’un manque de travaux en France sur les sujets portant sur la race, la transidentité et l’homosexualité. Militante féministe habituée des fanzines, Noémie Grunenwald a appris le travail de traduction en autodidacte, d’abord pour développer ses propres connaissances et les partager avec son entourage militant puis, très vite, en vue de se faire éditer.
À l’idée selon laquelle la traduction est un processus objectif visant à transposer un mot d’une langue vers une autre langue, Noémie Grunenwald répond qu’elle « traduit en féministe ». Celle-ci partage le féminisme de Bell Hooks, autrice noire américaine et théoricienne du black feminism, qui conçoit le féminisme comme un phénomène en constante redéfinition, à aborder en articulation avec d’autres mouvements telles que les problématiques anticoloniales, anti-impérialistes et de justice de classe.
Traduire en féministe selon Noémie Grunenwald, c’est donc déranger les cadres culturels du français et de l’anglais en rendant visibles ceux dont les voix ne parviennent pas, et ce, de deux manières.
D’une part, en choisissant des textes écrits par « des femmes, des personnes LGBT ou des personnes racisées dans des contextes occidentaux » plutôt que des textes écrits par des personnes ayant un accès privilégié à l’écriture.
D’autre part, en conservant les particularités socio-culturelles caractéristiques des identités des autrices. En lisant Dorothy Allison, autrice lesbienne originaire de Caroline du Sud, Noémie Grunenwald a été confrontée à une manière de parler spécifique des communautés blanches et pauvres du Sud des États-Unis. Elle a choisi de rester fidèle à ce style d’écriture difficile plutôt que traduire dans un français académique « grammaticalement irréprochable ».
« Traduire en féministe c’est aussi traduire en étant influencée par sa grille de lecture féministe du monde. » La profession de traducteurice est non seulement conditionnée par les langues en jeu, mais également par les engagements et les références de la personne qui traduit. Noémie Grunenwald explique qu’elle est souvent confrontée au phénomène de neutralité dans le genre, très présent dans la langue anglaise. Sa position féministe s’illustre par son choix de traduire le pronom pluriel anglais they par le pronom pluriel français elles ou iels plutôt que par ils.
De la lecture, à l’interprétation en passant par la réécriture du texte, c’est tout le travail de traduction de Noémie Grunenwald qui est influencé par sa position féministe. Selon l’auteure cet engagement « loin d’être un biais supplémentaire, permet de travailler mieux ».
Pendant l’échange avec les personnes présentes, à parité homme-femme, Noémie Grunenwald a évoqué l’invisibilisation dont souffre le métier de traducteurice due à la majorité de femmes qui exerce cette fonction. La question de faire apparaître ou non, le nom de la traductrice sur la couverture du livre montre que la reconnaissance du métier, loin d’être acquise, demeure un combat à mener.
Lise Loyer