Une vie de luttes
Militant politique et de la société civile, Abdellah Zaâzaâ livre son témoignage sur ses engagements humanistes et laïcs.
6 mai 1989, veille de l’Aïd Sghir. Abdellah Zaâzaâ apprend qu’il va être libéré sur grâce royale, alors que quatorze ans plus tôt, il avait été condamné à perpétuité pour son engagement à Ilal Amam. « Une immense colère envahit mon corps. C’était injuste que des camarades restent derrière nous, et puis ce n’était surtout pas de cette façon que j’envisageais ma sortie de prison. »
La première partie de cette livre est un récit autobiographique de son arrestation et de ses années de prison. Le témoignage de Abdellah Zaâzaâ vient compléter ceux de ses camarades de lutte, dont Driss Bouissef Rekab, son éditeur, Abdelfatah Fakihani, Abraham Serfaty, etc. Clandestinité, tortures à Derb Moulay Cherif, organisation de la vie à la prison de Kénitra… sont décrites avec une précision encore douloureuse, mais parfois aussi avec le goût de l’anecdote. Abdellah Zaâzaâ détaille les plans d’évasion : lors d’un transfert à l’hôpital, par les toits, et finalement, en creusant un tunnel. Il livre un récit palpitant des problèmes techniques (évacuation du sable puis de l’argile, conduites d’eau usées bouchées, risques d’effondrement, besoins d’aération) et bien sûr des ruses et de la peur face aux dangers encourus. Il évoque également sa lettre ouverte à Hassan II ainsi que le débat virulent suscité en prison par la stratégie des Comités de lutte contre la répression au Maroc de choisir le cas d’Abraham Serfaty comme locomotive pour la libération des prisonniers politiques.
Après la prison
Après la libération, c’est le harcèlement par les autorités. Dans ses interventions à l’ASDHOM et à l’AMDH, Abdellah Zaâzaâ témoigne des entretiens kafkaïens qui lui ont été imposés par des représentants du ministère de l’Intérieur et de la Préfecture de Police de Casablanca, lors qu’il demandait un passeport ou un permis de confiance pour conduire un taxi. Il souligne la continuité dans les méthodes : convocations sans motif, intimidation de sa famille harcelée à des heures indues par le mokaddem, obligation d’attendre sans explication, questions déplacées, etc. et bien entendu refus de délivrer les documents requis. En cause, sa constance dans son engagement humaniste, en politique puis au sein de la société civile. De cette expérience de terrain sur laquelle on aimerait en apprendre beaucoup plus, Abdellah Zaâzaâ a choisi de souligner son engagement en faveur de la laïcité. Le chapitre intitulé « Laïcité et quartiers populaires », initialement publié dans Le Journal hebdomadaire en 2002, en est un plaidoyer majeur. Abdellah Zaâzaâ y raconte la campagne qu’il a menée lors des législatives de 1997, en assumant sa position et en l’expliquant, expérience dont il tire la conclusion que « les gens risquent de ne jamais rien comprendre à quelque chose si on ne leur en parle pas », et donc qu’« il faut bien commencer un jour ».
Et vous, vous lisez quoi?
Kenza Sefrioui
Le combat d’un homme de gauche
Abdellah Zaâzaâ
Kalimate, 144 p., 40 DH
Ancien militant d’Ilal Amam, ce qui lui a valu 14 ans de prison, Abdellah Zaâzaâ (1945-2021) est devenu une figure de proue de la société civile et a cofondé en 1998 le réseau d’associations de quartier RESAQ à Casablanca.
Relisez notre dossier d’hommage à Abdellah Zaâzaâ ici.
Dans le texte
Pour la liberté
« Aujourd’hui, ce même combat contre l’oppression connaît un autre contexte, demande une autre stratégie. Et nous savons ce que cela risque de coûter.
Alors…
Alors, à ceux qui ne cessent, à force d’« analyses » et de discours, de crier que les militants de la Gauche Nouvelle des années soixante-dix s’étaient isolés, étaient sortis du rang de la nation, je dirai : nous n’avons été isolés que des oppresseurs et de la compromission. La preuve : ce n’est pas nous qui crions sur tous les toits qu’il faut tourner la page. Si page il y a à tourner, ce n’est pas de l’une des nôtres qu’il s’agit. Nos pages à nous sont trop belles et pleines d’amour et de liberté pour être tournées. Elles ne se referment pas, elles sont étalées les unes à la suite des autres, on peut les lire tous les jours et en écrire d’autres tout aussi belles. Ce que les Marocains, de plus en plus nombreux, continuent de faire. C’est la nature humaine. Nulle part on ne trouve une si longue chaîne de solidarité.
Assumer une certaine page est un des choix qui se posent à ceux qui l’ont écrite. Ne pas appliquer l’impunité est une des exigences de la société d’aujourd’hui. »
Texte initialement publié dans le n°870 de TelQuel, du 6 au 12 septembre 2019.