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Au revoir Fadel Iraki

C’est avec une infinie tristesse que nous avons appris la disparition, hier, de Fadel Iraki, avec qui nous avons eu le plaisir de cheminer dans l’aventure du Journal hebdomadaire.

C’est d’abord d’un personnage que nous nous souvenons. Fort en gueule, bon vivant, généreux. Grand bourgeois et anticonformiste. Amateur d’art passionné.

La presse indépendante, il savait ce que cela voulait dire et s’en imposait les contraintes. La rédaction du Journal, il lui rendait visite. Aimait discuter, partager. Jamais il n’est intervenu dans le contenu de la publication : c’était l’affaire de la rédaction. À chacun son métier.

C’est une démarche, à travers le Journal, qu’il soutenait. Celle d’un élan citoyen pour la recherche de la vérité. À notre collègue Radouane Baroudi, il avait confié son regret qu’un journaliste faisant son travail au Maroc soit considéré comme un militant. Cet élan, ce professionnalisme, il l’a soutenu, porté même, avec courage. Malgré le prix à payer.

Parce qu’il partageait avec nous tous, cet espoir d’un Maroc démocratique et juste.

Cet espoir auquel nous n’avons pas renoncé.

Fadel, merci.

Hicham Houdaïfa et Kenza Sefrioui

Vidéo tournée par Radouane El Baroudi lors d’un hommage au Journal à Bruxelles, en février 2013.

 

Le collectionneur

 Fadel Iraki : « Un acte de reconnaissance »

« Pour qu’un artiste existe, beaucoup de conditions sont nécessaires. Parmi ces conditions, il faut qu’il y ait des collectionneurs, car l’acte d’achat est un acte de reconnaissance de l’autre », explique Fadel Iraki. Sa passion pour la peinture remonte à ses jeunes années, même s’il estime qu’« être collectionneur, c’est d’abord un tempérament » : « Quand j’étais petit, c’étaient des boîtes d’allumettes que je collectionnais… »

Fils de magistrat – son père Moulay M’Hamed Iraki a été à la tête du Diwan al-Madhalim, l’ancêtre de l’Institution du Médiateur –, Fadel Iraki est courtier en assurance et a été l’actionnaire principal du Journal puis du Journal hebdomadaire, fleuron de la presse indépendante au Maroc de sa création en 1997 jusqu’à sa fermeture sur décision de justice en 2010. Il retrace la genèse de sa collection. « C’est à l’âge de vingt ans que je suis « tombé » dans la peinture et que j’ai commencé à en collectionner. Dans un premier temps, on achète n’importe quoi, car l’œil n’est pas aiguisé et on n’a pas assez de culture. Par la suite, les goûts commencent à se préciser, et la collection commence à avoir un peu de sens, à gagner en homogénéité. Moi, je voulais avoir une collection de peinture marocaine, ou plutôt de peintures de Marocains. De fil en aiguille, forcément, la collection s’ouvre… » Une collection, ce sont aussi les aléas de la vie : « La mienne s’est un peu dispersée dans les années 2000 car j’ai été obligé de m’en séparer en partie », résume-t-il, sans nostalgie.

Fadel Iraki est optimiste quant aux évolutions du monde de l’art. Il salue la professionnalisation grandissante des galeries et des maisons de vente aux enchères, qui structurent le marché et le dynamisent, en montrant des artistes marocains à l’étranger et des artistes étrangers au Maroc. « Il y a de plus en plus de fondations qui expertisent les œuvres vendues, donc cela crée moins de problèmes de faux. Le fait que les artistes passent de façon récurrente dans des ventes donne également une idée plus précise du prix approximatif d’un tableau. Bref, c’est un climat qui permet d’acheter avec plus de sécurité. » Quant aux collectionneurs – « il y en a quelques uns au Maroc », il observe leurs positionnements, voire leurs stratégies : « Les collectionneurs d’avant, qui achetaient de la peinture dans les années 1960-1970 ne sont plus les mêmes que les jeunes d’aujourd’hui. C’est un milieu qui évolue avec chaque génération au pouvoir. »

Portrait par Kenza Sefrioui paru dans The Art Newspaper France Monthly, en février 2019

2 avril 2020